vendredi 30 août 2013

Un bidonville à Las Vegas.

Décidément, moi qui croyais que les choses deviendraient ordinaires! Je me suis trompée! Je vous disais que je n'étais plus dans la découverte, et bien ce n'est pas le cas. Bien sûr je m'habitue à certaines choses, je me demande même comment je pouvais exécuter les mêmes actions en France! Mais je reste ébahie par le monde qui m'entoure. Je prends aussi bien conscience que ce que je vois ici n'est pas propre à l'Inde en général mais bien spécifique à New Delhi.

Après ce petit interlude de réflexion personnelle, repartons vers Malaviya Nagar. Quartier du sud de Delhi où se trouve le Studio du Gati Dance Forum. Rien à voir avec le lieu paradisiaque où nous nous trouvions la semaine dernière. Cet endroit est beaucoup plus à l'image de la réalité de Delhi et de cette évolution dans laquelle se trouve la ville. L'arrêt du bus 534 se trouve sur une grande avenue. Sur la droite de cette voie se dresse un immense centre commercial flambant neuf, un palace de superficialité occidentale saupoudrée de curry. Et de l'autre côté, celui où je vais pour travailler, c'est une autre réalité. Comme une juxtaposition de deux mondes parallèles. Il n'y a rien. Du vide, des détritus, des chevaux et des chèvres, des baraquements de taule et quelques humains et l'odeur bien sûr. C'est derrière ça que se trouve le studio.

Mercredi était donc un jour férié puisque c'était l'anniversaire de Krishna. Pour célébrer cet évènement Vishal a donc décidé de donner une fête sur le toit de l'immeuble. J'ai quitté le studio avec Parvathi et j'ai alors vécu un moment magnifique : mon baptême Déliite en scooter! Evidement sans casque pour moi mais comme vu la densité de la circulation nous avons rarement dépassé les 20 km/h. Nous avons été bloquées à Mehrauli par les célébrations et parades. Elle m'a donc déposé au milieu de la foule en liesse parée de mille couleurs. Je m'écarte des festivités direction mon appartement. Je traverse ces rues que je connais bien désormais mais je ne les reconnais pas d'abord parce qu'elles sont vides! Tout me parait différent, les rares personnes que je croise ont un visage détendu et rayonnant, les maisons sont décorées, et il flotte dans l'air une douce odeur d'encens. Les autels cachés dans les alcôves des murs sont parés de colliers de fleurs. Ils irradient aujourd'hui alors que je ne les avais encore jamais remarqués! 


Nous sommes un "dry day" autrement dit impossible d'acheter de l'alcool. Nous passons donc la soirée sur le toit à boire ce qui restait au fond des placards : de la vodka avec du jus de mangue et du whisky mélangé à de l'eau… C'est imbuvable! Je rencontre pour la première fois un français, bon
score en trois semaines! Simon est un pote de Parvathi, il étudie à Sciences Po Paris et est à Delhi pour faire un échange à l'université. Les allemands sont là aussi, Ruth et les garçons à la guitare. Ils ont ramené une amie, Judith qui est ravie de pouvoir entretenir son français! Plus le temps passe plus les gens me parlent en français et plus je ne parle qu'anglais. Ils ont amené une bouteille de vin rouge indien et chaud… Je ne sais pas ce qui est le pire entre ça et le whisky dilué. Je suis quand même venue ici pour travailler je vais donc aller me coucher!


Je ne fais pas encore beaucoup de choses pour le moment. Ce n'est que la deuxième semaine et les résidents sont concentrés sur la recherche d'un vocabulaire corporel en vue de réaliser cette pièce. Je les aide néanmoins à définir leur dramaturgie et à préciser leur concept. Je pense que tous auront besoin de mes lumières (!!). Pour certains je serai technicienne et pour d'autres partenaire ou créatrice. Nikita et Namrata me sollicitent d'avantage. Ma sensibilité leur parle et leur créativité m'inspire. Comme nous travaillons en étroite collaboration, Namrata me fait partager toute la complexité de sa vie d'artiste indienne. Pour vivre, elle fait des concerts de chants traditionnels et des spectacles de danses. Les deux ne se rencontrent pas. Hier je l'ai accompagné à son cours de chant. Nous avons quitté Gati en catimini. Dans la voiture elle m'expliquait qu'il y avait des castes dans les arts scéniques, une hiérarchie. Le top c'est le chant, puis vient la musique et enfin la danse, traditionnellement réservée aux prostituées. Elle est passionnée par ce qu'elle fait et par toutes les possibilités de langages que lui offre son corps. C'est pour ça me dit-elle qu'elle a décidé de faire cette résidence : pour faire du "chant" et de la danse dans la même pièce, pour pouvoir explorer cette dimension nouvelle qu'elle ne peut éprouver nulle part ailleurs. Nous arrivons à Mandi House. Arrivée sur le parking de cette école des arts, dans la voiture elle enlève ses vêtements de danse et enfile un jeans. Elle m'explique que les esprits sont très rigides ici et que c'est déjà une grosse provocation de sa part que de venir autrement qu'en IdianStyle. Nous pénétrons dans ce lieu qui ressemble fortement à un conservatoire de musique. Arrivées au deuxième étage, nous enlevons nos chaussures et rentrons dans une petite salle, sur la porte est inscrit : CLASSIC VOCAL.


Un homme arborant une chemise longue bleue et une chevelure blanche au regard autoritaire et bienveillant me sourit. Je prend place à l'arrière du groupe pour les observer. À coté du maitre, posé au sol, une station de musique diffuse une musique répétitive, une harmonie métallique. Ce métronome leur sert à caler leur voies. Ce son me soulève et m'angoisse en même temps. Chaque femme qui rentre dans cette pièce, salue le maitre, touche le tapis devant lui et s'assoie en lotus. Les vocalises s'enchainent et me transportent. Même si ce n'est qu'une séance de reprise après les vacances, je suis en pleine contemplation, abrutie par tant de beauté. Un moment de grâce. Les deux heures passent en quelques secondes. Je suis détendue et vidée comme après une séance de Yoga! Un peu à contre coeur je pars, rejoindre le studio où je suis attendue. 


Mes entretiens informels avec les danseurs se poursuivent, je suis malheureusement obligée de freiner leurs envies car seule et sans un réel budget je ne pourrais jamais honorer leurs demandes. Je suis donc obligée de leur donner des contraintes. Un peu frustrant pour moi mais ma petite expérience m'a aussi montrée que les contraintes sont un bon engrais à créativité. Nous somme obligés de rester plus tard ce soir, Rakesh et son acolyte hollandais veulent notre avis sur leur "workinprogress".


Le temps ne passe pas très vite ce soir, j'accompagne Asha et Nikita qui ont envi de s'aérer hors de Gati. Direction le centre commercial… C'est un lieu très étrange. Il y a eu des moments où j'avais envi de m'occidentaliser un peu et je pensais alors que les Malls étaient une réponse. Je sais maintenant que non. À peine entrée dans ce lieu, j'étouffe. Tout à l'air factice, je ressens un pincement de dégout. J'ai l'impression d'être à Las Vegas. 



Je n'avais pas aimé visiter cette ville. Tout est trop faux et je ne veux pas faire partie de ça. Après un bref moment, heureusement, nous partons pour assister à la présentation. Au milieu de la fameuse avenue qui sépare ces deux mondes, il y a un terre plein sur lequel sont postés trois enfants des rues. Le plus jeune n'est vêtu que d'un t-shirt, il doit avoir moins d'un an et tient à peine sur ses jambes. Les deux autres garçons sont un peu plus vieux. Ici, les enfants des rues sont exploités par des organisations mafieuses qui les forcent à mendier. Le plus grand d'environ 6 ans nous colle. Il laisse les deux autres et nous suit en quémandant de l'argent. En français j'explique à Nikita que le plus difficile pour moi en Inde c'est d'assister à ça, et face à son masque d'indifférence je lui demande comment elle vit ça. Elle m'explique que malheureusement au bout d'un moment on ne fait plus attention, que c'est bien triste mais que c'est comme ça. Un peu assommée par cette réponse je repense à ce que Namarata m'a dit un peu plus tôt "Il ne faut pas être dans la pitié, ça ne mène à rien. Mon gourou m'a dit qu'au lieu de la pitié, il fallait être content de pouvoir aider quelqu'un de temps en temps. L'empathie ne sert qu'à te détruire." J'erre dans la rue, je reprend mes esprits et je n'aperçois ni Asha ni Nikita. Elles sont à un stand de jus de fruits avec le petit garçon. Je les rejoins. Nikita lui tend le gobelet rempli à raz bord qu'il engloutit d'une traite. "À un moment, il a arrêté de demander de l'argent et m'a dit qu'il aimerait un jus de fruits, comment je pourrais dire non? Je n'avais plus aucune raison de refuser". Nikita n'est bien sur absolument pas indifférente à la détresse des enfants des rues. Mais dans les esprits ici c'est de cette façon que fonctionnent les choses.

Le soir en rentrant à l'appartement j'espère un moment de solitude. Ceux d'entre vous qui me connaissent savent à quelle point je chérie ces moments de tête à tête avec moi même. Les indiens ne vivent pas comme ça. Ils partagent tout le temps avec leurs amis, les portes ne servent pas à grand chose à part pour les moments quotidiens nécessitant une certaine intimité. Sur les rotules après cette journée spécial "ascenseur émotif" je m'assoie sur mon lit. Vishal m'y rejoins. Il partage avec moi sa vie, amoureuse notamment. Il m'explique qu'il l'a trouvé, LA fille! Après des échecs et un fils, ça y est elle est là. Mais il ne seront que des amis. En tout cas pour le moment, parce que suite à une consultation chez l'astrologue tout s'est arrêté. Ils ne sont apparemment pas compatibles. Quelle tristesse! Remettre ses choix entre les mains d'une destinée toute tracée sans jamais pouvoir en avoir la maitrise. Décidément  cette journée est vraiment bizarre. Dans le noir, étendue sur mon lit regardant dans le vide, les yeux asséchés par le ventilateur accroché au plafond je repense à cette journée. Je suis divisée entre la réalité sans demi mesure de ce qu'est la vie ici et la joie d'avoir la liberté de choisir tout ce(ux) que j'ai.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire