mercredi 14 août 2013

Le triangle d'or. J.1

Je ne sais pas trop par où commencer. Plus les jours passent moins j'arrive à savoir ce que je ressens. Je ne pensais pas qu'il pourrait exister un endroit si contrasté, si oxymoré (oui je sais ça ne se dit pas!). Ce qui m'a été donné à voir durant cette escapade a été délicieusement horrible et affreusement magnifique. La beauté est partout, dans les couleurs et les matières, dans les tenues, dans l'art de l'accumulation, dans l''artisanat, dans les sons, dans les gouts... bon pas dans les odeurs par contre! Et cette beauté si envoutante subsiste au milieu de tellement de choses indescriptibles que j'ai beaucoup de mal à appréhender autrement qu'à travers la comparaison que font mes yeux occidentaux. Je me pose la question de la restitution de cette expérience que je suis en train de faire. Comment je peux faire pour être juste, fidèle à ce que je vis sans tomber ni dans le (post)colonialisme, ni dans le désarroi, ni dans la futilité touristique. Alors pourquoi faire une restitution? me direz-vous : pour ne pas oublier.

Bref, je commence donc à être un peu désarçonnée  à mon avis ça ne fait que commencer. Tant que je ne suis pas plus occupée, retournons à nos occupations touristiques!


Nous avons donc retrouvé notre chauffeur : Vinay. Un homme indu de 38ans, espiègle, droit et préoccupé. À chaque fois que nous passons en voiture devant un temple Hindu, Vinay lâche le volant et touche sa statuette de tableau de bord en lançant une prière furtive top sécurité surtout au vu de la conduite indienne... Pas très rassurant mais nous avons fini par ne plus le remarquer. Bon par contre il rote tout le temps, tout à fait normal en Inde, et ça on peine à ne pas y accorder d'importance enfin surtout parce qu'à chaque fois on a envie d'éclater de rire! Non l'Inde ne nous rend pas du tout puériles! Nous quittons donc Delhi vers Agra. Pensez à l'image que vous vous faites du Taj Mahal, oui vous voyez, la chaleur, l'encens, les milles et une nuits... oubliez tout ça, oubliez toute cette fantasmagorie, rien de tout cela n'est réel, à part la chaleur. Nous quittons donc Delhi à 7h, et pendant une heure nous avons vu défiler devant nous un spectacle inqualifiable, inimaginable. Je crois que les photos peuvent en donner un aperçu mais multipliez ça par 1000 et vous approcherez de quelque chose qui pourrait ressembler à la réalité. 


Le courant passe bien entre nous et Vinay. Il nous propose une visite en extra, une visite de temples à Matura. Il gare la voiture, nous fait descendre et nous rencontrons un homme  armé d'un bâton d'environ 65 ans, ce qui est assez rare ici, il doit être une figure d'autorité de ce petit village qui dénombre pas moins de 500 temples. Il nous emmène voir au pas de course le premier temple en pierre rouge, je retrouve un peu de l'Alsace! Les singes sont là, ça grouille, ils sautent de maison en maison, se trainent sur le parvis et dans le temple.


"Enlevez vos lunettes, les singes les volent"
-Bon plan ça avec un soleil de plomb et 4 taupes qui ne voient rien à 1m... On va pouvoir profiter de la visite!-


Nous traversons donc à toute vitesse cet édifice avec quelques infos : avant il faisait 7 étages et maintenant plus que 4, toutes les statues ont été décapitées, tout ceci est l'oeuvre des Moghols si mes souvenirs sont bons. Il donne un coup de bâton vers les singes en criant en indi. 10 roupies pour le gardien des chaussures. Les fidèles nous observent, ils nous tournent autour, nous approchent. Un nouveau coup de bâton et un mot en indi cette fois-ci vers les gens. Restons donc touristes au milieu de tout ceci, une photo.


Vite, vite. Direction le deuxième temple. On traverse les petites rues sinueuses en file indienne (!!) au milieu des échoppes  des gens assis par terre, des égouts à ciel ouvert, des motos et des singes. Avant d'entrer dans le deuxième temple on se déchausse de nouveau. -Qu'est ce que j'ai bien fait de prendre mes tongs... Huguette, tes problèmes de bourgeoise on s'en tape!- Sous nos pieds des centaines de plaques de marbre avec des noms gravés recouvrent le sol et remontent le long des murs. À côté du tas de chaussures un petit stand de collier de fleurs, nous en prenons chacun un "ten roupies". Avec Yves on se regarde et ne sachant pas quoi faire on commence à se les mettre autour du cou. Quel bande d'andouille "It's not for tourist, it's for Krishna!" Je me disais aussi on est pas à Hawaï! Ce temple si n'est pas vieux en tout cas beaucoup moins que le précédent. Nous avons droit à l'explication de tout un pan de la vie de Krishna que je ne vous referai pas je pense que j'en oublierai la moitié et sans le contexte il manque quelque chose! Nous passons de pièce en pièce pour arriver dans un cul de sac. Un homme enrubanné est assis en lotus sur une sorte de marche en marbre avec en fond un rideau en paillettes accroché maladroitement, le guide nous force à nous assoir dans la même position. Les plaques avec les noms recouvrent toujours l'intégralité du lieu. L'homme lotus nous déblatère tout un discours spécial "épatons les occidentaux". "C'est votre jour de chance, aujourd'hui Krishna est là juste pour vous!"... Il enlève le rideau dans un geste magistral d'un coup de main toujours dans sa posture initiale. TADAAAAAA! Apparait alors un amas de breloques qui brillent (comme quoi la lumière à vraiment une dimension liée au spectaculaire... bon là ça a fait pchit!) deux statues noyées par tout ce fatras! 

"Huguette, ne regarde pas les autres, vous allez exploser de rire, ne regarde pas Yves surtout!"

Encore un peu de blabla fanatique, et un mystère s'éclaircit : les noms ne sont pas des tombes ce sont de noms de donateurs! Ça y est on va parler argent...CHIC! L'homme nous déballe alors tous les tarifs des donations, 3000 roupies pour avoir sa plaque ce qui porte bonheur à la personne et à toute sa famille. On se regarde tous les 4 sans trop savoir quoi faire. Suzanne sort un billet de 100 roupies, je le donne à l'homme Lotus, "Et les autres?" bon on a plus vraiment de liquide, on se sent un peu en otage, on est mal à l'aise. Je n'ai plus rien. "Vous pouvez faire une donation en euro aussi!"...Ah bah penses-tu! Je sors alors 4€ que je lui donne. Les deux hommes se regardent, disent quelques mots d'indi -on a du se faire rhabiller pour l'hiver! Le lotusman nous tend une poignée de sucre en cristaux macéré dans je ne sais quoi -Allez! C'est parti pour une petite tourista!- et le guide reprend sa cadence. Retour dans la salle précédente un homme nous fait nous pencher dans un petit autel avec de la magie : l'infini des miroirs en face à face, puis il me met un tika sur le front. Je me retourne un autre homme veut que je participe - et donc que je paie - à un autre rituel. Les autres sortent. Je les rejoins à toute vitesse. Vite partons d'ici. Nous retraversons le village dans lequel j'étouffe. Nous retrouvons Vinay. Notre guide à qui nous venons de filer quelques roupies et lui échangent quelques mots, on va être mal vu par notre chauffeur, c'est malin, ils font chier ces français, ils veulent pas raquer!...

Quelle épreuve cette visite! Ce sentiment est assez difficile à expliquer et à analyser. Nous sommes choqués mais par quoi? D'avoir été pris pour des vaches à lait, pour de bêtes curieuses? Par les singes, les regards des fidèles, les enfants qui nous tournent autour? De la vision de tout ce que la route précédemment nous a imposée? Sans pouvoir vraiment le nommer, nous sommes en route pour Agra, complètement hébétés les yeux dans le vide et écoeurés par ce gout de sucre dégueu qui ne veut pas s'estomper... 

Nous arrivons à la ville la plus fantasmée de l'Inde, enfin surtout pour le Taj Mahal! Les singes sont partout, les vaches et les chiens aussi. L'hôtel est pas génial mais comparé à ce dans quoi les gens vivent, il n'y a même pas de comparaison envisageable. Vinay nous emmène visiter le mini Taj. Comme d'habitude nous nous retrouvons dans un lieu magnifique et majestueux au bord de la rivière Yamuna. Des petites filles parées de mille couleurs dansent autour de nous et nous regardent avec des yeux brillants. Nous nous baladons dans le parc, un homme nous court après, Suzanne le reconnait il l'a déjà abordée à l'instant. Il ne parle pas anglais et de son indi nous comprenons qu'il veut nous prendre en photo. Nous l'accompagnons jusqu'à sa famille, trois femmes magnifiques nous regardent approcher, ravies. Les enfants eux ont l'air d'avoir peur de nous. 



Les femmes passent les unes après les autres avec chacune de nous pour prendre la pose sous les objectifs des autres membres de la famille. Nous ne parlons pas la même langue, mais nous communiquons avec ces femmes qui nous dévorent des yeux et que nous trouvons splendides. C'est un sentiment très étrange, juste parce qu'elles ont une photo d'elles avec nous, elles sont heureuses...



Vite, vite Vinay nous attend! Il nous emmène ensuite dans un autre de ces endroits 'spécial touriste'. Des hommes nous montrent ce travail d'une extrême minutie qu'est celui du marbre. Cet art est né ici. Sur la route et partout dans la rue nous voyons des vendeurs de marbre. Comme d'habitude leur discours est très rodé et à toute épreuve. Le vendeur, portait indien de Gérard Jugnot jeune nous vend son produit comme étant le même que celui du 'taAz mAhAl' (avec un gros accent). Les prix changent selon leurs envies. Suzanne achète une petite boite très belle, que nous retrouverons un peu plus tard moins cher ailleurs alors que comme à chaque fois le vendeur nous certifiait une très bonne affaire... Nous sommes bien naïfs! Nous sortons de là encore saouler par cette journée sans fin. Un petit tour à l'hôtel, je suis la seule à avoir le courage de me baigner dans cette eau! Le surveillant de la piscine me certifie que je peux me baigner en bikini, que ça ne pose pas de problème du moment que j'ai un haut et un bas! 

-"Bah oui mon gars je vais pas me baigner topless dans un pays qui craint autant pour les femmes!"-



Nous retrouvons Vinay, qui vu l'état dans lequel il est n'a pas du chiquer que du tabac ordinaire! Petit tour dans un resto très charmant un peu moins kitsch que les autres, Thali collectif, une petite bière sur la terrasse de notre chambre et au lit, nous nous levons dans cinq heures! 

Petit déjeuner occidental, et hop en voiture! Go to Taj Mahal! 




En arrivant à Vinay me demande de l'accompagner pour prendre les tickets. Il voulait que je l'accompagne pour lui proposer de venir avec nous. Nous lui offrons donc sa place. Et nous visitons le Taj. 

Je n'ai pas grand chose à dire sur cette visite. J'y ai ressenti un peu la même chose qu'en voyant la Joconde. Trop d'images et d'imaginaire tuent la surprise. Toutefois ce lieu garde sa magie.



Ok ce n'est pas très original mais je pourrai l'ajouter à ma collection, avec le Golden Gate et la tour de Pize!



Nous reprenons la route, direction Jaipur. Ici j'étouffe, partons.

Je ne sais pas trop quoi penser. Je suis complètement perdue, et je pense au fond de la voiture. Je pense qu'on ne peut se comprendre sur tout. Qu'il nous manque des codes, des mots.
La douleur de l'état dans lequel tout ceci nous met est totalement mis à mal par les rencontres merveilleuses que nous ont offerts les indiens sur lesquels nous sommes tombés. Les regards ici me renvoient une image dont je ne soupçonnais pas l'existence  Ici, je suis une bête curieuse, je fais peur, j'étonne. Certains enfants et beaucoup d'hommes surtout de mon âge me donnent l'impression d'être la 8ème merveille du monde ce qui n'arriverait jamais en France soyons réaliste je suis bien loin des canons de beauté et je vis très bien comme ça! Mais ici c'est vraiment différent, il semblerait que les femmes blanches, blondes aux yeux bleus sont un idéal. Je risque d'être bien désarçonnée en rentrant! Ici, mon rapport à mon propre corps est totalement différent, je n'ai pas à me battre avec les tailles pour trouver quelque chose qui me va. Tout se porte ample c'est plus simple! Je vois de l'envie dans les regards que je croise même si je prend gardes à ne pas provoquer. Tout ceci rajoute à mon impression d'incompréhension du monde dans lequel je suis immergée. Attendons la suite...

Je crois ne pas me tromper en disant que je pense que beaucoup de gens autour de moi n'ont pas compris mon désir de venir dans ce pays. Ce n'est pas comme si c'était le rêve de toute une vie même si depuis un an et demi j'ai tout fait pour monter ce projet, sans en comprendre l'origine. Aujourd'hui j'ai compris quelque chose. Dans mon travail je suis à la recherche d'un théâtre de la sensation comme je l'appelle, un théâtre qui ne pourrait pas se raconter, qui ne pourrait pas être capté, dont on ne pourrait pas garder de traces. Un théâtre qui serait seulement fait pour être éprouvé. Je crois que c'est cette expérience que je suis en train de vivre. Même si c'est un peu réducteur de parler comme ça de mes recherches, je crois que me coltiner un exercice de restitution si complexe ne peut que m'aider à savoir où je veux aller. Peu importe l'exactitude de mon récit je ne pourrais jamais vous restituer ce que je vois ici, ce que je ressens.

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