J'entame
ma deuxième semaine à Gati. Il y a plusieurs épisodes dont je ne
vous ai pas faits part. D'abord parce que je suis assez épuisée
mais aussi parce que j'ai oublié!
Pas grand chose à voir avec mon récit mais voici ma chambre et la vue depuis mon balcon.
La
semaine dernière durant ce workshop d'ouverture de la résidence les
exercices sensoriels et physiques se sont enchainés, libérant les
corps et illuminant la créativité de chacun. Un midi après le
déjeuner, je suis sortie de cette enclave paradisiaque pour
accompagner Namrata. Elle revient à peine de Suisse où vit son
mari. Je l'aime bien, elle est pleine de contrastes, indienne et
suisse, avec un côté avant-gardiste tout en restant traditionnelle,
et surtout ce que j'aime chez elle c'est que pour une fois je peux
trouver un indien (une en l’occurrence) qui répond à mes
questions. Il n'est pas évident ici de trouver des réponses
claires, les gens changent de sujet, ou hochent la tête de gauche à
droite, un mélange entre le oui et le non qui me laisse souvent sur
ma faim. En même temps, j'ai trouvé de l'intérêt à ce mode de
réponse, que j'utilise d'ailleurs régulièrement, soit quand je me
moque de trancher entre le oui et le non , soit quand je ne sais
pas parce que je ne comprends pas! Et ça fonctionne : mon
interlocuteur à l'air de trouver dans ce geste la réponse qu'il
attendait! Revenons à Namarata, un peu comme moi, elle est coincée,
bien au chaud, entre deux mondes. Tous les midis, elle sort, pas
vraiment par nécessité, mais pour se replonger dans son pays, pour
voir la réalité, dit-elle. Elle a une formation de Kathak. Je ne
vous expliquerai pas précisément ce qu'est cette danse
traditionnelle indienne, c'est beaucoup trop compliqué et surtout je n'en connais pas grand chose. Mais pour
vous donner quelques clés, je crois que cette danse est faite pour
raconter des épisodes de la vie des divinités Hindus (pour la
petite anecdote aujourd'hui 28 aout nous fêtons l'anniversaire de
Krishna). Chaque posture, regard, a une signification, le danseur
n'est plus lui pendant sa performance, il est habité. Dans cette danse il y a aussi tout un rapport à la musique. Des correspondances se créent entre la musique, le chant et les bruits du corps Elle est donc
danseuse traditionnelle et est venue faire une résidence de danse
contemporaine. Pour le moment je ne sais pas trop quoi vous dire de
plus sur elle. J'aime juste la simplicité et la franchise de cette
relation amicale et artistique, qui nait entre nous.
Samedi
après-midi, je retrouve Vishal, à la station Saket, les yeux
légèrement embrumés par le cannabis qu'il vient de fumer, pour
aller faire un peu de shopping! Nous nous rendons dans un marché,
près de Dilli Haat, où s'enchainent échoppes, stands et magasins.
Nous nous posons un moment sur un trottoir pour que Vishal puisse
manger son litre de sauce chili accompagné de quelques
raviolis. Je regarde ma canette de soda qui est d'une propreté plus
qu'approximative. Heureusement pour moi, j'ai toujours mon flacon de
lotion hydro-alcoolique! A la réflexion, il aurait peut-être mieux
fallu que j'aie un gobelet!
Nous
avançons de stands en stands, laissant quelques roupies au passage
pour des vêtements qui doivent être vendus 20€ minimum en France.
Vishal broyé par le piment se liquéfie petit à petit jusqu'à ce
que je lui offre le spasfon salvateur! Au détour d'une ruelle, nous
passons devant un vendeur de citronnade. Il doit avoir 15 ans, les
cheveux tondus et devant lui un présentoir, accouplement d'une table
et d'une brouette, sur lequel sont disposées des petites bouteilles
en verre remplies et avec un petit citron posé délicatement sur le
goulot. Dans sa main droite il tient un pic à glace qui lui sert à
ouvrir l'opercule des bouteilles. Je me retourne, Vishal parle avec
lui, je crois d'abord que c'est pour lui demander son chemin. Mais le
ton monte très vite, les hommes s'amassent autour d'eux. Ils se font
face les yeux exorbités, le regard noir et la poitrine bombée. Le
jeune tient toujours fermement son pic à glace. Je suis tétanisée,
l'incompréhension m'aveugle. Vishal finit par gifler le jeune homme
et me rejoint sereinement. Je lui demande ce qui l'a énervé, "Il
t'a offensée." Un peu perdue par ce qu'il vient de se passer je
le remercie maladroitement. Je ne me sens pourtant pas en danger ici.
Les regards sur moi ne sont pas plus insistants ou plus agressifs
qu'ailleurs, par contre vue la densité de population ce n'est pas un
endroit dans lequel je m'aventurerai seule. Je ne me sens plus
d'humeur à faire du lèche vitrine. C'était trop violent d'assister
à ça, malgré tout, nous continuons un moment. Puis nous partons
chez Mukesh, un de ses amis. Nous dansons et mangeons sur ce toit sur
lequel il habite, deux petits cagibis forment un appartement de rêve.
L'air est dense, sans la moindre brise, l'humidité m'asphyxie, la
température ne diminue pas, alors que la nuit progresse. Épuisés
et éprouvés par cette journée nous rentrons.
Le
dimanche matin je pars travailler, Vishal m'accompagne pour me
montrer un nouveau chemin. C'est une valeur universelle, les
dimanches n'existent pas dans le monde artistique! Je ne me sens pas
bien et les vingt minutes de marche sous le soleil puissant du matin
n'arrangent rien. Arrivée au studio après un petit-déjeuner
furtif, je dors ou du moins j'essaie.
Padmini
s'en va, enlace les danseurs, je la distingue à peine, les yeux
embrumés par la fièvre. Sankar prend la suite de la classe.
Aujourd'hui il leur fait faire un exercice de mémoire olfactive. Je
n'arrive pas à suivre les explications alors qu'ils échangent sur
leurs sensations Virkein se met à pleurer, déroutée par ses
souvenirs, moi je cours vomir.
La
chaleur, la déshydratation ou la canette suspecte, je ne sais pas ce
qui me cause cette fièvre mais je n'aime pas ça. Je lutte pour
rester au studio. À 17h je n'en peux plus, Vishal vient me chercher.
Dans les douze heures qui vont suivre, je ne vais faire que dormir et
boire. Lundi matin après ma vraie première longue nuit en Inde, je
vais bien. Mon corps commence seulement à se sentir un peu dépaysé,
la température et les épices m'éprouvent alors que j'ai la
sensation de m'y habituer.
L'humidité
est une plaie. Mon téléphone, qui ne marchait déjà plus très
bien en France, a surement rendu l'âme, les circuits noyés par la
moiteur tropicale incessante. Mon ordinateur ne se porte pas vraiment
mieux. Des bulles commencent à se former sous le plastique
antidérapant, la souris devient folle. Je croise les doigts pour ne
pas perdre mon dernier outil de travail et de communication!
En attendant la suite je vous montre ce que je vois de mon toit! C'est définitivement l'un de mes endroits préférés à New Delhi.
Je m'adapte très bien à ma vie ici, enfin de manière générale. Je m'adapte même un peu trop bien. Je pensais être plus dépaysée, plus éprouvée. Mais bon je ne vais pas m'en plaindre!
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