lundi 26 août 2013

Daily Delhi

Maintenant que mon quotidien est lancé je pensais ne plus avoir grand choses à raconter, je ne suis plus dans la découverte constante. Enfin, plus autant qu'avant. Je m'habitue à ce qui m'a tant désarçonné à mon arrivée. Les moments que je préfère dans la journée sont mes trajets en auto-rikshaw le matin à 7h30 et le soir à 21h - oui, j'ai des sacrées journées! La ville m'y apparait alors dans toutes les dimensions qu'elle peut offrir. Les désagréments des infrastructures sont devenus des repères familiers. Il y a le passage "champs de nids de poules" après la mosquée, le lampadaire plié en deux qui sert d'étendoir à linge aux gens qui vivent au milieu du carrefour à Qutub Minar. Il y a aussi ce moment toujours aussi éprouvant devant ce qui doit être le dépôt d'ordures du quartier, soit près de 1000 personnes - ou le garde mangé de luxe de la faune sauvage environnante - qui me soulève le coeur et me broie le ventre à chaque fois que j'y ai droit. Les canalisations du Bhagwati Hospital juste à côté de chez moi sont cassées. L'eau s'écoule dans la rue jusqu'à la place du marché. Je suis toujours en tongues, il fait tellement chaud. Mais quand je dois traverser ce bouillon de cultures où se mêlent cochons, vaches et humains, je me déteste ne pas avoir mis mes tennis. Les éclaboussures de mes chaussures parsèment l'arrière de mon pantalon d'une constellation d'excréments liquéfiés.

Hier matin, en partant juste devant chez nous, Vishal a joué avec un chiot, une petite lueur de vie pas encore rongée par la gale. Un petit moment de simplicité comme une bouffée d'air, et oui les bébés animaux sont mignons dans le monde entier! Ce matin, il est mort, étendu en plein milieu de ce qui se prend pour une route devant mon immeuble le corps déjà habillé par un manteau de mouches. C'est cette micro tragédie qui est pourtant d'une banalité universelle qui m'a donnée envie d'écrire. Pourquoi est-ce que je me laisse tant atteindre par cette mort canine alors que ce n'est clairement rien surtout comparé à tout ce dont j'ai pu être témoin ici? J'aurai bien une réponse mais je ne suis pas sûre qu'elle puisse être entendue par tout le monde. J'espère seulement que ce petit corps ne va pas rester là jusqu'à se fossiliser dans le bitume.

Passons.

Le workshop continue. Je rencontre des gens très agréables et d'une grande richesse artistique. En même temps que nous dans ce petit havre de paix se déroule un séminaire pour les gays, lesbiennes et transsexuels de Delhi, ces hommes portent les plus beaux saris que j'ai pu voir.
Les stagiaires se divisent en deux groupes. Le premier groupe n'est là que pour la première semaine, les six autres danseurs sont partis pour une résidence de neuf semaines comme moi. Je les observe jour après jour dans cet espace devenu familier. Leur langage du corps est similaire à celui que je connais mais teinté de traditions et ponctué par une utilisation délicate et codée des mains ou plus précisément des doigts. Une nouvelle poésie du corps qu'il m'est donné de découvrir.


D'abord il y a Amita. Elle n'est avec nous que pour cette semaine. Elle n'est pas danseuse mais comédienne et cherche à explorer de nouvelles dimensions du corps. Un peu comme moi elle semble empotée et intimidée par les limites du langage, l'anglais pour moi et celui du corps pour elle. Elle est très douce et très avenante à mon égard. Elle a 28 ans mais parait beaucoup plus jeune. Elle m'invite même à son mariage en Novembre. Malheureusement ou heureusement je serai de retour en France pour votre plus grand bonheur à tous, je ne pourrai donc pas y assister. Elle a choisi son mari mais elle m'explique que même si c'est beaucoup plus répandu qu'avant ce n'est pas le cas pour la majorité.
Nous avons assister à la présentation de Padmini, une chorégraphe de 43 ans, on lui en donnerait 30, qu'est-ce qu'ils mettent dans l'eau c'est pas possible! Son discours est très dur et découragerait le plus motivé des artistes. Le seul moyen pour réussir dit-elle est d'être entouré et de ne pas avoir un grand appétit car l'art et l'argent de cohabitent pas. Elle ne veut pas donner à ces disciples certaines clés, certains secrets parce qu'ils sont la concurrence de demain. Plus tard dans le wagon pour femmes du métro, Amita me fait part de ses doutes et de la difficulté pour elle de croire en l'arrivée de jours meilleurs. Des larmes naissent aux coins de ses yeux, en évoquant la chance que certains autres ont eu d'être épaulés et entretenus par leur famille alors qu'elle doit se battre quotidiennement contre ses parents trop conservateurs. Je me sens bien désarmée pour faire face à cette détresse que je ne peux qu'imaginer. Je lui dis de croire en ses rêves et qu'elle doit être fière de ce qu'elle est. Ça me parait bien dérisoire d'énoncer ces lieux communs mais elle semble boostée par mes mots maladroits. Le coeur au bord des lèvres elle me sert contre elle sous le regard médusé des indiennes qui nous entourent à cette heure de pointe.
Je suis très limitée par mes problèmes de communication. Surtout quand il a fallu que je parle à tout le monde de mon travail. Namrata l'a senti, elle parle français tout comme Nikita, toutes les deux sont là jusqu'en Octobre j'aurai donc l'occasion de vous en dire d'avantage à leur sujet. Elles sont frustrées de ne pas retrouver dans ma présentation les mots qu'elles disent poétiques que j'utilise pour parler du corps et de la lumière. Elles
m'aident donc à approfondir mes propos et semblent très touchées par mon travail qui semble leur apporter une bouffée de d'inspiration.

Rien à voir mais je ne pense pas que j'enverrai de cartes postales. Je ne fais pas vraiment confiance à la poste française alors à la poste indienne je vous raconte pas - Ta gueule Jean-Louienh! Et puis je n'ai toujours pas trouvé d'endroit pour acheter ni des timbres ni des cartes! Petits mots pour mes grands-parents au passage : tout va très bien arrêtez de vous inquiéter!



Et juste pour le plaisir des yeux une vue du toit de mon immeuble de nuit.

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