lundi 7 octobre 2013

Un trésor en perdition.

En parallèle de la résidence, j'ai rejoint un projet mené par Ryia, danseuse, lors de la première semaine de résidence. Son point de départ dans sa recherche pour cette collab', comme elle l'appelle, c'est de créer des correspondances entre la danse, la voix, le son et la lumière. Tiens, tiens! Ça me rappelle quelque chose! Son enthousiasme me vend du rêve et de l'inspiration en pack de 24 - à vous de trouver la signification de cette phrase mystérieuse! Remplies par cette belle énergie nous allons à la rencontre de Vinny, propriétaire du studio… Et là ça fait PCHIT! Il est artiste sonore et cherche à transformer les deux niveaux supérieurs de sa maison en studio ou salle d'expo. Dans ce petit espace je ne vois pas très bien ce que je vais pouvoir y faire. 
Mais suite à des évènements récents (il va falloir attendre le prochain chapitre...) je ne me sens plus l'énergie de mener ce projet à bien. Ryia compte beaucoup sur moi, j'y participerai donc de loin, de très loin.


La semaine dernière, j'ai assisté à plusieurs spectacles. Le premier se déroulait à l'India Habitat Center. Un spectacle de danse s'inspirant de la vie du Mahatma Gandhi. C'était long, laborieux et déplaisant. Cette salle, flambant neuve, est une fierté pour le monde artistique de Delhi. Je ne comprends pas bien pourquoi. La scène est trop petite et triangulaire. Ça pourrait être une contrainte qui pousse à la créativité mais ça ne fonctionne pas. C'est la quatrième fois que je vois un spectacle ici et cet espace ne se laisse pas habiter. Il reste complètement froid et stérile face à la magie créatrice de ces artistes qui se produisent ici. Bon comme partout, j'y ai aussi vu des choses pas du tout intéressante, comme ce théâtre de boulevard aux couleurs de Mumbai auxquels nous avions assisté début Aout. 
Cette performance, donc n'était pas d'un très grand intérêt. Avant le lancement la créatrice lumière est venue saluer Namrata, qui nous a ensuite présentées. 

"Je veux vraiment avoir ton avis, il faudra qu'on en discute même si c'est négatif."

Vu ce que j'en ai à dire, je ne suis pas certaine qu'elle apprécie! Rien n'était assumé ou ne relevait d'un réel choix. Trop de costumes, très beaux certes mais sans réelle consistance dramaturgique. Une musique, à la fois électro et acoustique, pourquoi pas me direz-vous. Et bien, dans ce cas il aurait mieux fait de s'abstenir. Mais mais mais! Mais c'est le Vinny en question qui a fait la création sonore, ça promet et ça me donne tout de suite très envie de travailler avec lui. Et la lumière… Evidemment, ça me saute aux yeux. Mais la médaille de la médiocrité revient à l'interprète. Cette danseuse mal assurée, engoncée dans un défilé de sa garde-robe, ne m'a pas transportée et semblait à bout de souffle sans pouvoir régler ses pas sur le rythme diffusé par des enceintes montées sur des pieds bancals. 
À la fin j'applaudis machinalement. Je suis tellement aspirée depuis deux mois par la découverte de tout ce qui me m'entoure que j'avais oublié ce qu'était l'ennui. J'avais également oublié comme j'aime ça. J'aime cette chaleur que me procure le velours des sièges dans une salle obscure. Et dans ce petit cocon douillet, à l'abri de tout, mon esprit s'égare. J'ai le temps de penser. Je m'émerveille à chaque fois de cette liberté provoquée par un moment de lassitude. Heureusement pas trop régulièrement. Je suis fascinée que l'art ne fonctionne pas à tous les coups, que la magie ne soit pas un automatisme. C'est cette fragilité, cette incertitude, qui rend chaque voyage théâtral - quand il se produit - encore plus fort, encore plus unique. Et à ce moment-là, le temps se fige, mon corps se libère, mon esprit se détache de mon enveloppe corporelle. Je m'élève dans un monde merveilleux, où l'inspiration est reine et où la liberté est totale. En apesanteur  je me libère de tout. Pour que ce feu d'artifice théâtral puisse se produire, j'ai besoin de passer à côté certaines fois. Et là, ce fut le cas. À la fin de ces 90 minutes de gêne à l'encontre de ces artistes, j'ai constaté, stupéfaite, que tout le public se levait, lançant des bravos. Je ne sais pas d'où venaient ces acclamations. Sont-elles sincères? La petite fille de Gandhi est dans le public, elle monte péniblement les quelques marches qui mènent à la scène. Elle offre un bouquet bien kitchouille à la danseuse. Ça pue la mise en scène faussement spontanée… Je ne comprends rien à cette mascarade, alors que j'avais plus ou moins toujours eu l'impression d'échapper aux faux semblants ici, où tout est livré sur un plateau cruel de réalité, je me retrouve avec ce même sentiment d'imposture que lors de la cérémonie à la frontière pakistanaise. Aujourd'hui j'en suis complice. Cette standing ovation pue les intérêts politiques et la guerre des égos de cette petite sphère protégée qu'est le monde artistique de Delhi et que je ne parviens pas encore à appréhender. Réflexion faite, ce qui me désarçonne le plus c'est que ce soit si proche des coups bas et de la glorification des apparences qui sont les maitres mots dans le monde artistique occidental. Mais bon pour quelles raisons ce serait différent ici?




Le lendemain, Namrata m'a emmené avec sa fille Aïdah de 5 ans voir un opéra à Mandi House. Une production franco-indienne "Orfeo crossing thé Ganges". Le titre peu prêter à sourire, je me suis d'ailleurs demandé où je mettais les pieds, le souvenir de la veille condé quelque part dans ma gorge. Mais cette fois se fut différent, la magie a opéré. Ce metteur en scène français donc, doit être amoureux de l'Inde et de sa culture depuis un petit moment pour avoir réussi à marier dans une harmonie si douce et si belle l'Est et l'Ouest. Un accord parfait des couleurs chatouillantes des costumes (en rien comparable à la veille) et d'une scénographie minimaliste d'une grande justesse dramaturgie. Le mélange des genres effectué avec grand respect. Un orchestre symphonique dans la fosse accompagné de musiciens traditionnels indiens sur scène, à moins que ce ne soit l'inverse, a soulevé le public d'un souffle cristallin. Aucune envie ici de gommer une culture au profit de l'autre sans pour autant tomber dans une cacophonie et exit les clichés post-coloniaux. Cette pièce nous a été adressée comme un message d'espoir et de paix où les yeux bleus d'un Orphée finlandais ne brillent que pour la splendeur d'une Eurydice indienne. Vous me direz qu'il s'agit tout de même de l'histoire d'un amour impossible. Et bien pas cette fois! Ici tout n'était que tolérance et ouverture d'esprit. Et dans un pays si merveilleux soit-il où tout, surtout en ce qui concerne les relations, parait souvent bien compliqué, ça fait un peu de bien. Oui je sais je suis utopiste, je vis dans un monde rempli de paillette où les Bisounours fument des bidis! En fait au delà de mon regard enjoué de spectateur contemplatif, j'ai été soulagée de voir que ce mariage, entre ces deux mondes, est possible et à portée de main. Dans mes recherches, je travaille autour de l'universalité du langage corporel (la danse) et de celle des émotions ressenties par le public. Je suis idéaliste et j'y crois. Je suis convaincue qu'il peut exister un mode d'expression dénué de barrières linguistiques et où les différences culturelles permettraient différentes lectures. Et je crois que c'est pour ça que j'ai choisi de travailler la lumière au théâtre en général. Le pouvoir culturel et cultuel de la lumière est une source d'inspiration et de fascination infinie dans laquelle il me suffit de piocher. Et j'essaie d'allier tout ça à la beauté et la grâce d'un corps dansant dans un monde d'illusion et de liberté qu'est celui du spectacle.

Oui ça ressemble à une recette de la Fée Clochette pour étendre le pays imaginaire au reste de la planète mais c'est mon moteur. Avoir assisté à cette pièce au milieu de ce séjour si incroyable m'a galvanisé. Je suis gonflée de cette force, de ce feu puissant qui ébouillante mon cerveau et enflamme mes entrailles de toute sa puissance créatrice!

Tout est dans le contraste, c'est la que née la vie, la force et la beauté. Et il est maintenant temps pour moi de redescendre brutalement sur Terre en vous faisant partager cet ascenseur émotif. Dimanche, Ankit m'a emmené voir un concert de musique et de chant traditionnel. Il a 27 ans et m'avoue que c'est la première fois qu'il y assiste. Je suis là depuis deux mois et j'ai du voir une dizaine de spectacles. C'est la que ce foutu ascenseur vous tombe sur le coin de la gueule. Alors que, comme vous avez pu le remarquer, j'étais à bloque, enthousiaste et stimulée, Ankit sans le vouloir a tout cassé. Je lui ai demandé pourquoi il passé à côté de ce trésor nationale. Il m'a alors expliqué que sa génération ne veut pas s'inquiéter de cet art ni des autres apparemment. Et j'ai repensé à ce vendeur d'artisanat en marbre d'Agra -TaAzz MaAhal man - qui nous avait expliqué que tous ces petits métiers étaient appelés à disparaitre. Toutes ces richesses et se savoir faire que compte ce pays vont donc mourir petit à petit : les tapis, le marbre, la taille de pierres précieuses, la musique, le chant et la danse. Et tout ça au profit de la pop nauséabonde, Bollywood et le MadeInIndia de mauvaise qualité.

A la fin de ce concert, mon ami avait des étoiles plein les yeux, un peu triste quand même d'être passé à côté pendant tout ce temps, Et je me suis dit que même si toutes ces richesses s'évaporent avec le temps, j'aime à croire qu'il y aura toujours des gens pour les faire vivre. C'est un peu conservateur et réfractaire à l'évolution mais ce pays renferme des trésors qui valent la peine qu'on se batte. J'espère seulement que ce ne seront pas des bobos hippies occidentaux en mal d'exotisme qui le feront.

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