mardi 22 octobre 2013

Himalaya Birthday.


En Inde, j'aurai aussi soufflé mes bougies. Pour leur première vraie soirée à Delhi, j'initie Diane et Quentin au breuvage subtil et magique qu'est l'eau indienne, enfin à la vodka. Mes amis sont presque tous présents et heureux que nous soyons réunis pour cette occasion. Cette fête se passe comme toutes les autres, toutes celles auxquelles j'ai pu assister, une seule différence cependant, un sort particulier est réservé à celui qui prend une année. 


Porté comme un cochon pendu par les autres, il se prend autant de 'bump', de (gentils) coup de pieds que son âge plus un, pour porter bonheur. Moment un peu générant, pendant lequel j'étais plus que mal à l'aise, mais typique au moins. Un anniversaire à l'indienne, et alors que je profite de cette chance que j'ai d'être bien entourée, par tant de bonté et de joie, par tous ces gens que je ne connais que depuis quelques semaines, je prends conscience que je ne veux pas rentrer en France mais rester ici, avec ces gens qui m'acceptent pleinement, à 100% avec mon anglais pourri et mes bizarreries. 


Je ne suis pas devenue amoureuse de l'Inde parce que c'est le pays le plus merveilleux au monde, loin de là. Je suis tombée amoureuse de cette vie à Delhi parce que je suis heureuse.

Le 11, jour de mon anniversaire, Namrata est venue frapper à ma porte de bon matin, à 8h30, dans ses mains un énorme gâteau au chocolat. Diane et Quentin encore en pyjama, replient le lit et nous nous asseyons pour savourer ce gâteau. Une autre tradition, plus jeune celle-là, enfin surtout pratiquée par les nouvelles générations, t'en prendre plein la gueule pour ta nouvelle année. Namrata, armée d'une part me ferait une beauté. Débarbouillée et la peau douce suite à ce gommage au sucre, improvisé, nous dégustons enfin ce petit dèj royal, avant que je parte travailler. 

Une pluie diluvienne se déchaine à l'extérieur, la mousson devrait pourtant être finie depuis longtemps. Le vendredi c'est jour de pluie. Alors que je suis assise à passer ce bon moment entourée de mes amis, je repense à la semaine dernière. 

Vendredi 4 octobre, il pleuvait aussi et j'étais abattue. La pluie semblait refléter l'état de tristesse dans lequel la mort de Judith m'avait plongée. J'avais passé la journée avec Nikita, Massimo et Simon. Nous étions allés voir un film amateur à l'alliance française, puis nous avions dîné. Après avoir foutu le cafard à tout le monde, j'avais rejoint chez Shreya, Sven et Malte. La première fois depuis Amritsar que je les revoyais. Ils avaient l'air déconnectés mais simplement contents de me voir. Contents que je vienne partager ce moment de recueillement avec eux. Nous n'avons pas parlé de Judith, nous n'avons d'ailleurs pas vraiment parlé, et pour dire quoi de toute façon ? Nous avons juste pris le temps d'être ensemble. Les parents de Judith ne viendront pas, son corps sera renvoyé en Allemagne dans les jours à venir. Ils ont refusé l'autopsie parce qu'ils disent ne pas pouvoir faire confiance aux expertises indiennes, qu'ils ne peuvent rien croire de ce qui vient de ce pays. Beaucoup d'éléments vont dans le sens du suicide et plutôt que de se torturer avec des découvertes qui peuvent être monstrueuses, ils préfèrent en rester là et commencer à essayer de continuer à vivre. Sven et Malte qui travaillaient dans la même ONG qu'elle, ont décidé que, malgré la peine, ils veulent continuer et mener leur mission à son terme. La seule chose qu'ils ne peuvent plus supporter c'est leur appartement, hantés par le fantôme de leur colocataire. 

Je nous revoie discutant dans le train vers le Golden Temple. Choquée en apprenant leur jeune âge, - comment elle se la pète trop depuis qu'elle à 24 ans la fille! - je leur avais demandé ce qu'avait dit leurs parents à propos de leur voyage. Judith, le regard confiant et enjoué me répondait en français, pour elle et ses compagnons, et me confiait que, même s'ils étaient inquiets, ils lui faisaient confiance et ils étaient conscients de l'expérience incroyable qu'ils offraient à leur fille…

Je fête mon anniversaire donc. Après ce repas festif, Namrata me conduit à mon rendez-vous avec mon régisseur pour préparer la dernière semaine de la résidence, la dernière semaine déjà. Il pleut toujours. La ville habituellement si sèche et poussiéreuse change de visage ; les rues si surpeuplées, grouillantes et bruyantes sont vides. Seuls les chiens errants se baladent. Nous ne parlons pas beaucoup. Nous prenons juste le temps d'apprécier la beauté de ce paysage urbain détrempé. 

Depuis quelques jours, je montre la ville et la vie déliite à Quentin et Diane. Ils ont l'air bien détendus, beaucoup plus que moi lors de mes premiers jours. Je leur explique les combines, le marchandage, les choses à voir. 

Peut-être que je m'occupe trop d'eux et que je les empêche de se perdre. C'est ce sentiment, pourtant si effrayant, du début qui m'a amenée à être si bien par la suite. Bon, je ne vais pas culpabiliser non plus d'être une bonne guide touristique ! Leurs premiers jours, ils ont eu droit au même parcours que celui que le colonel nous avait montré en commençant par India Gate. Arrivée ensuite au Lodhi Garden. Un garde nous accueille à l'entrée des monuments du parc et nous demande notre nationalité, nous répondons en cœur. Puis il se retourne et redemande la même chose à Diane. Un peu surprise, elle répond de nouveau. Il ne la croit pas et repose une nouvelle fois sa question. 

"You know, there is black people also in France !"

Nous le prenons sur le ton de l'humour, malgré le fait qu'il ne veuille toujours pas la croire. Pourquoi tant d'insistance et pourquoi ne la croit-il pas ? Par manque d'éducation peut-être. Des discussions que nous avons eues avec Namrata, et il commence à y en avoir eu un paquet, nous en arrivons à chaque fois à cette conclusion : le plus gros problème de ce pays, au delà du nombre bien sur, c'est l'éducation.

Pour mon dernier week-end de liberté en Inde, je décide de quitter cette fourmilière et entraîne mes amis dans mon exil enjoué. Nikita nous suit dans ce petit périple, nous partons à Kasauli, sur les premiers reliefs de l'Himalaya. 


Après moult négociations avec Vinay, le chauffeur dragueur, nous finissons enfin par tomber d'accord. Quel plaisir de quitter Delhi pour quelques jours et de retourner un peu à la nature et à cette excitation de la découverte qui était mon moteur deux mois plus tôt. Après plusieurs heures de dos d'âne, de temps perdu au passage à niveaux pour laisser passer le train le plus lent du monde, nous arrivons dans la nuit à notre hôtel. 





Une bonne nuit de sommeil et il petit déjeuner plus tard, nous nous dirigeons vers le top, les montagnes. Dans ces routes sinueuses, bordées de sapins et de maisons luxueuses en construction, les voitures usent et abusent du klaxon et doublent dans les virages. Malgré cette petite voix qui me dit que, indépendamment des prouesses de conduites de notre chauffeur, nous n'allons pas tarder à faire un vol plané, mes yeux aperçoivent au loin des monts enneigés. L'air est clair, pur et sans pollution.



Arrivés à Kasauli, nous prenons un moment, juste pour contempler cette nature. C'est tellement beau que je pourrais en pleurer. Le paysage semble sans fin. Et il fait froid. Le froid. J'avais presque oublié ce que c'était, il ne fait jamais moins de 29°C à Delhi. Ça fait du bien, ça me manquait, je crois. Nous flânons à travers les villages, prenant le temps de ne rien faire, profitant juste d'être là. Vers midi, le ciel se voile. Les nuages envahissent la vallée. Les montagnes semblent flotter dans le ciel, je ne sais plus où s'arrête la Terre. Il m'est impossible de distinguer l'horizon. Perchés sur notre point d'observation, nous passons un moment à contempler la nature, à flotter dans ce rêve vaporeux.



Un peu de shopping – ENCORE ! - je ne perds pas le nord, puis, une pause dèj. Nous décidons d'aller voir l'autre versant de la montagne sur laquelle nous nous trouvons. Un petit détour par la voiture pour nous délester de nos emplettes, et Vinay change ses plans. Il nous explique qu'il doit partir dimanche matin tôt pour une célébration religieuse, et nous avec. Il est plus agressif que lors de notre premier voyage. Il est trop familier et, avoir une indienne avec nous n'a pas l'air de lui plaire. Son anglais est approximatif et il ne parle, du coup, qu'en hindi. Nikita se retrouve donc seule pour se dépêtrer de cette situation. Nous finissons par trouver une solution, il partira à Delhi ce soir pour revenir demain après-midi. Il ne semble pas comprendre qu'il va être moins payé. Tant pis pour lui.



Notre intermède logistique terminé, nous partons marcher dans la nature himalayenne, oui je sais : c'est la classe ! Après un moment sur un chemin de randonnée, nous croisons un groupe d'hommes qui nous indiquent que ce chemin ne mène à rien. Persuadés qu'il y a forcément une vue imprenable sur les hauteurs, Nikita et Quentin commencent à gravir cette pente raide. Avec Diane, nous fermons la marche, bon, c'est parce qu'on est petite ! J'ai mal, ma cheville droite m'empêche de progresser dans l'ascension de notre mini Everest. 


Mardi dernier, je suis partie chercher Diane et Quentin à l'aéroport et évidemment, j'étais en retard, Delhi trafic oblige. Dans les couloirs interminables de la station de métro, j'ai couru, vite, très vite, enfin pour mes petites jambes. Mes tongues glissaient régulièrement de mes pieds. Et là, inévitablement, ma cheville s'est tordue. Je suis arrivée vingt minutes après leur atterrissage. Et j'ai attendu, devant la porte vitrée de l'arrivée des voyageurs pendant une heure. J'ai eu peur de les avoir manqués alors j'ai voulu rentrer dans l'aéroport. J'avais de quoi payer, oui, il faut payer pour accéder à la zone d'arrivée, mais je n'avais pas mon passeport… Grande idée! Alors je suis restée là à attendre, encore et encore et j'ai fini par apercevoir Quentin. Enfin ! Mon cœur s'est serré et mon visage s'est illuminé, une douche de lumière divine s'est abattue sur moi dans ce moment de bonheur total… Oui, je sais, je deviens sentimentale ! ET ALORS ?! Diane n'était pas encore là. Le beau "pays" qu'est le Luxembourg ne délivre les visas qu'une fois arrivé sur le territoire indien. Quentin l'attendait à l'intérieur pour qu'elle ne soit pas perdue à la sortie du bureau de l'immigration. Chacun de part et d'autre de cette foutue baie vitrée gardée, nous sommes restés à nous regarder jusqu'à ce qu'elle le rejoigne enfin.


J'ai mal, donc. Mes chaussures de rando me tiennent bien la cheville mais mon pied me lance. Et chaque pas ne fait qu'empirer la situation. Le soleil décline et nous ne tardons pas à atteindre notre panorama tant espéré. J'ai le souffle coupé par tant de beauté et de pureté, à moins que ce ne soit l'ascension. De la nature à l'état brut, parsemée de temples. Les montagnes à perte de vue semblent être collées comme des silhouettes en ombre chinoise sur un dégradé lumineux de gris bleuté. Eh oui, le gris peut être très lumineux. Je ne saurais dire quel moment était le plus fort, le plus beau. La vision de rêve du midi ou ce tableau de lyrisme absolu où le soleil couchant vient enflammer la vallée. 


Dans la nuit, nous rejoignons le village. Je suis étourdie par toutes ces images, à moins que ça ne soit à cause du manque d'oxygène dû à l'altitude. Vinay nous conduit ensuite à un rooftop restaurant. Coincés sous les étoiles – Tiens, des étoiles ! - entre Shakira et des chants que crache le temple sikh d'à côté, nous dégustons une bière. Je me sens bien, je crois que je ne pouvais pas espérer un meilleur week-end d'anniversaire, ça va être difficile de faire mieux que le dîner aux chandelles dans l'Himalaya. Vinay, impatient, nous donne un aperçu ce de qu'est un rallye en montagne. 

"Il est pressé de rentrer à Delhi apparemment!" 

Perspicace, Diane ! Sans dire un mot, il nous quitte. Nous nous retranchons dans la chambre pour jouer aux tarots et boire du vin de poire… Vous ne m'en direz pas des nouvelles !

Deuxième et dernier jour de vacances, avant la folle semaine qui nous attend dans la capitale. Sans chauffeur, nous sommes obligés de nous déplacer en bus. Immersion totale dans la vie quotidienne locale. Ces vieux bus feraient passer la Socetra pour une compagnie de luxe ! – Oui, il faut d'abord connaître la Socetra pour savoir de quoi je parle ! - Le bus, déjà bondé, continue de s'arrêter à chaque bus stop, on ne sait jamais on peut sûrement en faire rentrer encore un ou deux. Les à-coups de la route nous secouent et le rap penjabi nous berce. Nous retournons prendre notre petit dèj, enfin, un brunch plutôt, à Kasauli. À la sortie du bouiboui, deux petites filles indiennes m'abordent et me demandent une photo. Quelques minutes plus tard, elles reviennent équipées d'un cahier pour me demander… un autographe ! Je suis une star habillée en souillon.



Retour au bus, direction un premier petit village à flanc de montagne. Nous poussons même jusqu'à un temple hindi et y passons un moment à discuter, surtout à propos de religion.






Il est peut-être temps que je vous parle de Nikita. D'abord elle est belle, fine et gracieuse, normal pour une danseuse. Elle est toujours très gentille et drôle mais aussi un peu fainéante avec son français. Je vous parlerai de son travail plus tard, ce chapitre est déjà trop long ! 



Son père est hindi, en tout cas d'éducation. Il n'a jamais transmis à ses enfants cette culture et mon amie trouve d'ailleurs que toutes ces histoires de divinités sont bien trop compliquées et improbables pour qu'on puisse y croire. Sa mère était catholique. Elle a donc été élevée entre les deux. Un mariage mixte qui a dû lui apporter une ouverture d'esprit certaine. Elle célèbre les grandes fêtes de ces deux religions mais n'est fidèle à aucune. Elle fait partie de cette nouvelle génération qui se détache de ce qui pourrait s'apparenter à de l'obscurantisme et s'ouvre à l'occident. En plus, de ce double héritage, son petit ami qui vit à Dubai, est musulman. Lui, semble être convaincu qu'elle finira par se convertir pour qu'ils puissent se marier. Elle, est de plus en plus sure qu'elle ne le fera pas, qu'elle ne se reniera pas ne serait-ce que sur le papier. Après six mois de séparation, ils vont se retrouver dans quelques jours, elle va rencontrer sa presque belle famille. C'est cette rencontre qui déterminera si cette histoire qui dure depuis un an peut continuer ou pas.


Dans ce bus de la mort qui nous emmène à Solan, ville champignon comme ils l'appellent, elle me raconte sa vie, ses questionnements et ses tiraillements. Cette fois je me sens plus capable de lui répondre. Un peu comme avec Parvathi, je me retrouve en elle. Sauf qu'elle est beaucoup plus canon que moi ! 

Dernière étape de cette journée. Cette petite (d'après les standards indiens) ville est accrochée à la montagne. Des immeubles ont été construits partout où c'était possible. Ils sont plantés là, défiants les lois de la gravité avec un petit côté favelas, tels des champignons agrippés à l'écorce d'un arbre. C'est donc de là que vient son surnom. Nous y restons juste le temps de manger. Vinay nous attend déjà à l'hôtel. Quentin, affamé, se commande un repas gargantuesque … Il ne va pas tarder à le regretter.Un dernier trajet en bus pour rejoindre notre chauffeur. Direction Delhi. À 80 km de notre destination finale. A 22 h, Vinay nous fait le coup de la panne, le petit coquin ! Quarante cinq minutes pour réparer une roue crevée. Changer une chambre à air à la main ça prend un peu de temps.Il est 00h29. Nous sommes arrivés à Defense Colony, New Delhi. Une dernière petite blague de Vinay, il ne va pas rire longtemps ! Diane lui tend le reste de sa paye tandis que Nikita lui explique que nous avons décidé de le payer 10 000 Rs au lieu des 12 000 prévus compte tenu de son absence. Vexé, il remonte en voiture, sans un mot ni même un regard.



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