Mon
errance touche à sa fin, ce soir j'emménage dans un lieu
bienveillant. Namrata m'offre de venir dans un studio dans son
immeuble. Un peu d'indépendance et de solitude dans cette ville qui
grouille. Même si cette semaine n'a pas été très confortable,
avec beaucoup d'inconnus et d'incertitudes, je me suis sentie
beaucoup plus libre en SDF qu'en
ColocataireDuGrosTaréEnManquedAffection. La page se tourne et ma vie
reprend son cours 'normal'. J'ai quand même ressenti le besoin de
m'aérer suite à cet épisode. Avec une semaine de recul, je me
rends compte que ce n'est pas quelque chose d'important et de
négatif. Namrata m'a même assuré que c'est une expérience
positive "Peu importe ce que tu vis actuellement, il faut que tu
te rendes compte que tu as de la chance, regarde toutes les personnes
qui sont prêtes à te tendre la main. Réjouis-toi de ça, de cette
chance que tu as." Elle a raison et grâce à tous ces gens, je
vais bien.
Ruth
en fait partie. Elle m'a proposé de l'accompagner pour le week-end
avec d'autres amis pour visiter Amritsar. C'est une petite ville
(seulement 1 million d'habitants…) du Nord-Ouest du pays, à la
frontière pakistanaise. Vendredi soir, 18h30, je retrouve Ruth, sa
colocataire indienne Shreya, Judith, Sven et Malte à Nizamuddin
railway station.
Nous montons à bord du Golden Temple Express - train couchette - le voyage doit durer 10h, il en durera 13…
Les
vendeurs de boissons, de chips, de glaces et de curry passent en
hurlant dans l'allée centrale, peu importe l'heure du jour ou de la
nuit… La nuit parlons-en! Elle est pénible, le ronronnement du
train nous berce mais le sifflet de la locomotive nous arrache
régulièrement à notre sommeil précaire.
Il fait chaud, mon corps transpirant colle au revêtement synthétique de la banquette. Le réveil est difficile, les corps sont endoloris, les esprits embrumés. Les odeurs nauséabondes nous soulèvent le coeur à intervalle régulier.
Nous
sommes arrivés. Il fait plus humide qu'à Delhi, où le temps
commence à s'assécher progressivement, mais il fait toujours aussi
chaud. Nous suivons Shreya dans l'organisation logistique.
Le
Golden Temple est la Mecque des Sicks. Un temple en Or - merci
Huguette pour la traduction! - trône au milieu d'un lac carré, le
tout encerclé par des arcades de marbre blanc.
L'eau
est paraît-il miraculeuse. Peu importe la croyance, ce que j'ai pu
en voir jusqu'à maintenant c'est que dans chaque religion l'eau est
purificatrice et salvatrice, l'eau est à la base de la vie
(spirituelle). Paradoxe intéressant quand on sait qu'en Inde, pays
si religieux, le simple geste de se brosser les dents requiert une
certaine vigilance. - Merci Huguette pour cette réflexion d'une
profondeur infinie! - Autour du lac, un cloitre géant donc, les
fidèles s'y promènent, méditent et dorment.
Nous trouvons deux chambres aux abords du temple dans un bâtiment du complexe religieux. Chambres réservées aux 'pèlerins' étrangers.
Juste
à côté, un autre cloitre. Les saris sèchent aux balcons teintant
de milles couleurs éclatantes ce bâtiment d'un blanc immaculé. Un
peu fatigués par notre nuit dans le train, nous décidons d'aller
nous asseoir sous les arcades face au temple. Comme partout ailleurs
nous ne passons pas inaperçu. Mais ici même si les gens nous
regardent, nous ne sentons ni admiration, ni haine, juste de la
curiosité tout au plus. Dans ce lieu, tout est fait pour que tous
les visiteurs soient traités de la même façon. Bon enfin presque,
nous avons eu droit à une chambre contrairement aux indiens qui
dorment dehors. Je suis assise sur le marbre chaud, entourée par mes
compagnons de voyage, les enfants ont peur, les parents restent un
peu avec nous, les enfants pleurent, effrayés par ces étrangers qui
font des grimaces idiotes. Un vieil homme s'arrête et m'engueule en
penjabi - ça tombe bien déjà qu'en hindi je comprends rien! - me
pointant de son index autoritaire, le regard noir. Shreya m'explique
que je suis irrespectueuse : mes jambes sont tendues, mes pieds
pointés vers le temple. Marque d'irrespect suprême en Inde en
général et dans un lieu religieux en particulier. Après ce moment
de méditation, nous continuons notre tour du propriétaire. Sur
notre gauche, un comptoir près de la rampe d'accès au temple, les
gens s'y agglutinent. En bons moutons curieux nous faisons de même.
Contre dix roupies nous repartons chacun avec un bol en feuille
d'arbre rempli d'une mixture sucrée, il s'en dégage une odeur
"sweet" et écoeurante de miel, d'amande et d'un je ne sais
quoi dont je me serai bien passé. Nous ne savons pas très bien quoi
faire de cette chose, même Shreya semble perdue. Toujours aussi
gourmande, je suis la première à me lancer, du bout du doigt (sale
bien sûr, ça fait travailler mon système immunitaire) je goûte.
Qu'est- ce que c'est gras! D'un geste semblant tomber du ciel tel un
couperet, une femme m'arrête "Ce n'est pas pour le manger!"
Encore une bourde! À l'autre bout du monde mon côté Bridget Jones
est décuplé, je n'en manque pas une! Un peu gênés nous rejoignons
une autre file, il fallait d'abord faire offrande d'une partie du
contenu du bol avant de pouvoir manger le reste. Nous nous asseyons
un moment pour écouter un groupe traditionnel sick, de l'autre côté
du cloitre. Je n'ose plus manger mon machin spécial obèse/diabétique
maintenant!
Après
avoir testé la cour, nous partons à la découverte de la cantine.
Dans tout ce complexe Sick, hommes et femmes doivent avoir la tête
couverte et les pieds nus. Nous rentrons donc dans l'enceinte du
réfectoire. Le sol est trempé, sur le marbre gris se mélangent eau
de vaisselle et reste de nourriture. Au loin, on entend les prières
qui sont diffusées dans chaque parcelle du Golden Temple. Ici le
volume est beaucoup plus fort pour tenter de couvrir le vacarme
incessant et métallique engendré par 200 personnes qui font la
vaisselle, peu importe l'heure du jour ou de la nuit.
Telle
une chasse au trésor, nous n'avons qu'à suivre les indices pour
pouvoir manger. Un premier homme nous tend une assiette, à quelques
mètres derrière lui une deuxième nous tend un bol et après
quelques marches un troisième nous donne une cuillère. Un escalier
à monter, on nous indique une place où nous asseoir. Cette salle,
énorme, est remplie de dizaines de personnes venues prendre leur
repas. Les assiettes sont posées au sol, les hommes passent armés
d'une louche et d'un seau pour en remplir les compartiments. Nous
engloutissons ce délicieux repas. Une fois fini, nous nous
retournons et avec stupéfaction, constatons qu'en quelques secondes
le réfectoire s'est vidé, comme ça en un clin d'oeil! Pour la
sortie, le rituel est le même qu'à l'entrée, le jeu de piste
recommence.
Tout
est très organisé, chacun exécute sa tâche. Nous sommes
émerveillés par la magie de ce lieu. Ici tout est gratuit -
même si nous savons qu'une généreuse donation est toujours la
bienvenue! - Les gens sont traités dans l'égalité et le respect.
95% du travail fourni ici est effectué par des volontaires, ce qui
permet de pouvoir servir 16000 repas par jour. Et ça fonctionne! À
notre tour d'apporter notre contribution : nous partons faire la
vaisselle. Nous assistons en première loge à un ballet mécanique
accompagné d'une symphonie assourdissante. La vaisselle passe dans
cinq bains de nettoyage et de rinçage avant de repartir dans la
salle à manger. Tout va très vite. Nous sommes les nouveaux rouages
d'une machine bien rodée. Les femmes autour de moi me parlent… en
hindi et en penjabi… dommage! Mais elles sont contentes et
m'accueillent avec gentillesse. Nous plaisantons sans mots. Le temps
passe trop vite, nous devons déjà partir.
Nous
prenons un taxi, direction la frontière pakistanaise à 30 km de là. Pourquoi nous rendre à la frontière me direz-vous? Surtout quand on connait les relations que ces deux pays ont eu par le passé et comment ça se passe maintenant. Et bien pour une simple raison : un show est organisé pour célébrer 'l'amitié' et l'indépendance de ces deux nations. Nous ne savons pas vraiment à quoi nous attendre, mais la curiosité nous titille! Le chauffeur s'arrête, bloqué par un barrage de police, nous allons
devoir finir à pied. Les indiens, autour de nous, se pressent en
masse contre une barrière. Ici, très peu d'occidentaux. Les gens
sont hystériques, ils nous poussent, crient, courent dans tous les
sens. Nous ne comprenons pas vraiment ce qui est en train de se passer autour de nous et nous devons surement passer à côté de quelque chose. La chaleur nous étouffe, je me sens mal, j'ai hâte que ça se
termine… 40 minutes plus tard, un homme fend la foule jusqu'à nous
et nous indique un chemin pour les femmes, nous laissons Sven et
Malte faire la queue avec les autres hommes.
Une
image me saute aux yeux. Les femmes et les enfants d'un côté, les
hommes de l'autre entourés par beaucoup de militaires dont certains
sur des chevaux. Des murs de barbelé dessinent les espaces
accessibles pour la foule. Tout ici sens la répression et le contrôle. Mon regard effrayé croise celui de mes
amies allemandes, nous avons pensé à la même chose.
Après
plusieurs points de contrôle tenus par des femmes aux mains
baladeuses insistantes, nous parvenons enfin au gradin réservé aux
étrangers. Sur la droite une grande porte, arborant un portrait géant de
Gandhi, sur laquelle trônent des militaires armés. De chaque côté
de cette porte, deux énormes gradins bondés. Un pour les hommes et
un pour les femmes. C'est vrai ça après tout continuons ainsi,
c'est beaucoup plus facile d'éviter des agressions en séparant les
gens qu'en éduquant la population. Les gens sont fous, en transe,
ils crient et applaudissent à en perdre leurs mains. Sur la gauche
du côté pakistanais c'est la même ferveur. Les deux côtés sont
reliés par une route coupée en son milieu par une double grille,
symbolisant la frontière.
Des
indiens parcourent à grande foulée le chemin allant de la grande
porte à la grille, soulevés par un élan patriotique en brandissant
avec fierté un drapeau géant. La foule acclame chaque passage. Une
musique hurlante nous assomme. Les femmes s'amassent sur la route et
dansent à corps perdu au son de la pop indienne.
La
cérémonie va commencer. Les deux camps scandent des slogans
patriotiques. Les gardes arborant des couvres chefs impressionnants de ridicule exécutent des mouvements grotesques. Le public en extase totale est
au bord de l'évanouissement étourdi par un orgasme nationaliste. La
même ardeur agite le Pakistan. Et nous au milieu de tout ça nous ne
comprenons rien. Nous avons à la fois envie de pleurer, de hurler et
de rire. Dans un moment d'égarement mental engendré par la torture
que ce spectacle m'impose, j'imagine alors une comédie pareille
célébrant l'amitié Franco-allemande, au moins ça nous divertit
quelques instants avec Ruth! Shreya n'en peut plus, devant moi je la
vois se décomposer. Cette imposture célébrant une pseudo
fraternité entre son pays et son voisin la débecte. Nous partons,
les garçons décident de rester jusqu'à la fin. Avec Judith et
Ruth, nous continuons nos plaisanteries à propos de ce dont nous
venons d'être témoin, Shreya elle ne dit rien, les yeux perdus dans
le vague.
Quel
spectacle affligeant, une démonstration parfaite de la fascination
aliénante de masse. Sont-ils conscients que tout ceci n'est qu'une
énorme farce? Ou prennent-ils ce show pour argent comptant?
À
4h du matin, le réveil est difficile mais nous tenions à visiter le
temple pendant une célébration. À la sortie de la chambre nous
sommes étonnés de voir que dehors la vie ne s'arrête jamais. La
cour grouille de gens, autour d'eux à même le marbre certains
dorment. Shreya m'assure que ce n'est pas un problème pour les
indiens, ils sont habitués.
De
retour au temple, nous allons faire la cuisine. Nous y retrouvons
Judith et Shreya qui finissent leur corvée d'épluchage de gousses
d'ail. Alors qu'elles partent visiter le musée sick, nous prenons
leur place et passons un moment à attendre la prochaine tache avec
les indiennes. Une vieille femme nous fait comprendre que dans
ce lieu, dans un soucis d'égalité, Ruth n'a pas le droit d'avoir de vernis à
ongles et que je n'ai pas le droit de porter mes lunettes. Nous
sommes dans un lieu qui prône l'égalité et ce sont des signes
distinctifs d'une certaine richesse. Elle ne nous reproche rien, elle
nous explique seulement la philosophie de ce lieu. Comme rien ne se
passe, la vieille femme nous conseille d'aller faire un tour du côté
de l'atelier 'rôti' (pain indien). Accroupies sur un rondin de bois,
les pieds dans la farine et armées d'un rouleau à pâtisserie nous
confectionnons dans galettes. Un jeune sick et son ami Rudy nous
proposent d'aller voir une 'bread machine'. Ruth n'est pas très
enthousiaste à l'idée de suivre ces hommes après le souvenir désagréable de la file d'attente, puis après quelques instants d'hésitation nous les
suivons dans une arrière cour du temple. Cette machine est
impressionnante et produit avec un rendement sans commune mesure des
dizaines de rôtis en quelques secondes. En regardant cette machine, de la farine collée par la transpiration entre mes orteils, je me dis que je préfère les faire à la main, ce que j'ai vécu avec ces femmes était tellement agréable.
Puis
les deux hommes nous entrainent dans une autre cour, nous offrant
alors une vue unique sur le temple. Enchantées, nous nous dirigeons
vers la chambre pour retrouver nos camarades. Il est temps de
s'inquieter de notre retour sur Delhi. Arrivés en catastrophe à la
gare routière nous grimpons dans un bus sur le point de partir qui
s'avère être le dernier de la journée pour New Delhi! 11h
de nids de poules et de films boolywoodiens plus tard, à 3h30 du
matin nous arrivons enfin à destination, épuisés mais ressourcés
par ce week-end dans ce lieu unique.
11h de nids de poules et de films boolywoodiens plus tard, à 3h30 du matin nous arrivons enfin à destination, épuisés mais ressourcés par ce week-end dans ce lieu unique.
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