mercredi 11 septembre 2013

Golden week-end.

Mon errance touche à sa fin, ce soir j'emménage dans un lieu bienveillant. Namrata m'offre de venir dans un studio dans son immeuble. Un peu d'indépendance et de solitude dans cette ville qui grouille. Même si cette semaine n'a pas été très confortable, avec beaucoup d'inconnus et d'incertitudes, je me suis sentie beaucoup plus libre en SDF qu'en ColocataireDuGrosTaréEnManquedAffection. La page se tourne et ma vie reprend son cours 'normal'. J'ai quand même ressenti le besoin de m'aérer suite à cet épisode. Avec une semaine de recul, je me rends compte que ce n'est pas quelque chose d'important et de négatif. Namrata m'a même assuré que c'est une expérience positive "Peu importe ce que tu vis actuellement, il faut que tu te rendes compte que tu as de la chance, regarde toutes les personnes qui sont prêtes à te tendre la main. Réjouis-toi de ça, de cette chance que tu as." Elle a raison et grâce à tous ces gens, je vais bien.

Ruth en fait partie. Elle m'a proposé de l'accompagner pour le week-end avec d'autres amis pour visiter Amritsar. C'est une petite ville (seulement 1 million d'habitants…) du Nord-Ouest du pays, à la frontière pakistanaise. Vendredi soir, 18h30, je retrouve Ruth, sa colocataire indienne Shreya, Judith, Sven et Malte à Nizamuddin railway station.


Nous montons à bord du Golden Temple Express - train couchette - le voyage doit durer 10h, il en durera 13… 



Les vendeurs de boissons, de chips, de glaces et de curry passent en hurlant dans l'allée centrale, peu importe l'heure du jour ou de la nuit… La nuit parlons-en! Elle est pénible, le ronronnement du train nous berce mais le sifflet de la locomotive nous arrache régulièrement à notre sommeil précaire. 



Il fait chaud, mon corps transpirant colle au revêtement synthétique de la banquette. Le réveil est difficile, les corps sont endoloris, les esprits embrumés. Les odeurs nauséabondes nous soulèvent le coeur à intervalle régulier.



Nous sommes arrivés. Il fait plus humide qu'à Delhi, où le temps commence à s'assécher progressivement, mais il fait toujours aussi chaud. Nous suivons Shreya dans l'organisation logistique. 
Le Golden Temple est la Mecque des Sicks. Un temple en Or - merci Huguette pour la traduction! - trône au milieu d'un lac carré, le tout encerclé par des arcades de marbre blanc.



L'eau est paraît-il miraculeuse. Peu importe la croyance, ce que j'ai pu en voir jusqu'à maintenant c'est que dans chaque religion l'eau est purificatrice et salvatrice, l'eau est à la base de la vie (spirituelle). Paradoxe intéressant quand on sait qu'en Inde, pays si religieux, le simple geste de se brosser les dents requiert une certaine vigilance. - Merci Huguette pour cette réflexion d'une profondeur infinie! - Autour du lac, un cloitre géant donc, les fidèles s'y promènent, méditent et dorment. 



Nous trouvons deux chambres aux abords du temple dans un bâtiment du complexe religieux. Chambres réservées aux 'pèlerins' étrangers. 



Juste à côté, un autre cloitre. Les saris sèchent aux balcons teintant de milles couleurs éclatantes ce bâtiment d'un blanc immaculé. Un peu fatigués par notre nuit dans le train, nous décidons d'aller nous asseoir sous les arcades face au temple. Comme partout ailleurs nous ne passons pas inaperçu. Mais ici même si les gens nous regardent, nous ne sentons ni admiration, ni haine, juste de la curiosité tout au plus. Dans ce lieu, tout est fait pour que tous les visiteurs soient traités de la même façon. Bon enfin presque, nous avons eu droit à une chambre contrairement aux indiens qui dorment dehors. Je suis assise sur le marbre chaud, entourée par mes compagnons de voyage, les enfants ont peur, les parents restent un peu avec nous, les enfants pleurent, effrayés par ces étrangers qui font des grimaces idiotes. Un vieil homme s'arrête et m'engueule en penjabi - ça tombe bien déjà qu'en hindi je comprends rien! - me pointant de son index autoritaire, le regard noir. Shreya m'explique que je suis irrespectueuse : mes jambes sont tendues, mes pieds pointés vers le temple. Marque d'irrespect suprême en Inde en général et dans un lieu religieux en particulier. Après ce moment de méditation, nous continuons notre tour du propriétaire. Sur notre gauche, un comptoir près de la rampe d'accès au temple, les gens s'y agglutinent. En bons moutons curieux nous faisons de même. Contre dix roupies nous repartons chacun avec un bol en feuille d'arbre rempli d'une mixture sucrée, il s'en dégage une odeur "sweet" et écoeurante de miel, d'amande et d'un je ne sais quoi dont je me serai bien passé. Nous ne savons pas très bien quoi faire de cette chose, même Shreya semble perdue. Toujours aussi gourmande, je suis la première à me lancer, du bout du doigt (sale bien sûr, ça fait travailler mon système immunitaire) je goûte. Qu'est- ce que c'est gras! D'un geste semblant tomber du ciel tel un couperet, une femme m'arrête "Ce n'est pas pour le manger!" Encore une bourde! À l'autre bout du monde mon côté Bridget Jones est décuplé, je n'en manque pas une! Un peu gênés nous rejoignons une autre file, il fallait d'abord faire offrande d'une partie du contenu du bol avant de pouvoir manger le reste. Nous nous asseyons un moment pour écouter un groupe traditionnel sick, de l'autre côté du cloitre. Je n'ose plus manger mon machin spécial obèse/diabétique maintenant!


Après avoir testé la cour, nous partons à la découverte de la cantine. Dans tout ce complexe Sick, hommes et femmes doivent avoir la tête couverte et les pieds nus. Nous rentrons donc dans l'enceinte du réfectoire. Le sol est trempé, sur le marbre gris se mélangent eau de vaisselle et reste de nourriture. Au loin, on entend les prières qui sont diffusées dans chaque parcelle du Golden Temple. Ici le volume est beaucoup plus fort pour tenter de couvrir le vacarme incessant et métallique engendré par 200 personnes qui font la vaisselle, peu importe l'heure du jour ou de la nuit.


Telle une chasse au trésor, nous n'avons qu'à suivre les indices pour pouvoir manger. Un premier homme nous tend une assiette, à quelques mètres derrière lui une deuxième nous tend un bol et après quelques marches un troisième nous donne une cuillère. Un escalier à monter, on nous indique une place où nous asseoir. Cette salle, énorme, est remplie de dizaines de personnes venues prendre leur repas. Les assiettes sont posées au sol, les hommes passent armés d'une louche et d'un seau pour en remplir les compartiments. Nous engloutissons ce délicieux repas. Une fois fini, nous nous retournons et avec stupéfaction, constatons qu'en quelques secondes le réfectoire s'est vidé, comme ça en un clin d'oeil! Pour la sortie, le rituel est le même qu'à l'entrée, le jeu de piste recommence. 


Tout est très organisé, chacun exécute sa tâche. Nous sommes émerveillés par la magie de ce lieu. Ici tout est gratuit  - même si nous savons qu'une généreuse donation est toujours la bienvenue! - Les gens sont traités dans l'égalité et le respect. 95% du travail fourni ici est effectué par des volontaires, ce qui permet de pouvoir servir 16000 repas par jour. Et ça fonctionne! À notre tour d'apporter notre contribution : nous partons faire la vaisselle. Nous assistons en première loge à un ballet mécanique accompagné d'une symphonie assourdissante. La vaisselle passe dans cinq bains de nettoyage et de rinçage avant de repartir dans la salle à manger. Tout va très vite. Nous sommes les nouveaux rouages d'une machine bien rodée. Les femmes autour de moi me parlent… en hindi et en penjabi… dommage! Mais elles sont contentes et m'accueillent avec gentillesse. Nous plaisantons sans mots. Le temps passe trop vite, nous devons déjà partir.




Nous prenons un taxi, direction la frontière pakistanaise à 30 km de là. Pourquoi nous rendre à la frontière me direz-vous? Surtout quand on connait les relations que ces deux pays ont eu par le passé et comment ça se passe maintenant. Et bien pour une simple raison : un show est organisé pour célébrer 'l'amitié' et l'indépendance de ces deux nations. Nous ne savons pas vraiment à quoi nous attendre, mais la curiosité nous titille! Le chauffeur s'arrête, bloqué par un barrage de police, nous allons devoir finir à pied. Les indiens, autour de nous, se pressent en masse contre une barrière. Ici, très peu d'occidentaux. Les gens sont hystériques, ils nous poussent, crient, courent dans tous les sens. Nous ne comprenons pas vraiment ce qui est en train de se passer autour de nous et nous devons surement passer à côté de quelque chose. La chaleur nous étouffe, je me sens mal, j'ai hâte que ça se termine… 40 minutes plus tard, un homme fend la foule jusqu'à nous et nous indique un chemin pour les femmes, nous laissons Sven et Malte faire la queue avec les autres hommes. 
Une image me saute aux yeux. Les femmes et les enfants d'un côté, les hommes de l'autre entourés par beaucoup de militaires dont certains sur des chevaux. Des murs de barbelé dessinent les espaces accessibles pour la foule. Tout ici sens la répression et le contrôle. Mon regard effrayé croise celui de mes amies allemandes, nous avons pensé à la même chose.


Après plusieurs points de contrôle tenus par des femmes aux mains baladeuses insistantes, nous parvenons enfin au gradin réservé aux étrangers. Sur la droite une grande porte, arborant un portrait géant de Gandhi, sur laquelle trônent des militaires armés. De chaque côté de cette porte, deux énormes gradins bondés. Un pour les hommes et un pour les femmes. C'est vrai ça après tout continuons ainsi, c'est beaucoup plus facile d'éviter des agressions en séparant les gens qu'en éduquant la population. Les gens sont fous, en transe, ils crient et applaudissent à en perdre leurs mains. Sur la gauche du côté pakistanais c'est la même ferveur. Les deux côtés sont reliés par une route coupée en son milieu par une double grille, symbolisant la frontière.


Des indiens parcourent à grande foulée le chemin allant de la grande porte à la grille, soulevés par un élan patriotique en brandissant avec fierté un drapeau géant. La foule acclame chaque passage. Une musique hurlante nous assomme. Les femmes s'amassent sur la route et dansent à corps perdu au son de la pop indienne.
La cérémonie va commencer. Les deux camps scandent des slogans patriotiques. Les gardes arborant des couvres chefs impressionnants de ridicule exécutent des mouvements grotesques. Le public en extase totale est au bord de l'évanouissement étourdi par un orgasme nationaliste. La même ardeur agite le Pakistan. Et nous au milieu de tout ça nous ne comprenons rien. Nous avons à la fois envie de pleurer, de hurler et de rire. Dans un moment d'égarement mental engendré par la torture que ce spectacle m'impose, j'imagine alors une comédie pareille célébrant l'amitié Franco-allemande, au moins ça nous divertit quelques instants avec Ruth! Shreya n'en peut plus, devant moi je la vois se décomposer. Cette imposture célébrant une pseudo fraternité entre son pays et son voisin la débecte. Nous partons, les garçons décident de rester jusqu'à la fin. Avec Judith et Ruth, nous continuons nos plaisanteries à propos de ce dont nous venons d'être témoin, Shreya elle ne dit rien, les yeux perdus dans le vague.
Quel spectacle affligeant, une démonstration parfaite de la fascination aliénante de masse. Sont-ils conscients que tout ceci n'est qu'une énorme farce? Ou prennent-ils ce show pour argent comptant?

Nous rejoignons Amritsar pour diner, très bon Lassi, spécialité locale. Puis nous nous trainons, épuisés, jusqu'au temple. Assis face au temple, nous nous laissons transportés par le spectacle somptueux du Golden Temple irradiant dans la nuit noire. 



À 4h du matin, le réveil est difficile mais nous tenions à visiter le temple pendant une célébration. À la sortie de la chambre nous sommes étonnés de voir que dehors la vie ne s'arrête jamais. La cour grouille de gens, autour d'eux à même le marbre certains dorment. Shreya m'assure que ce n'est pas un problème pour les indiens, ils sont habitués.

Nous passons 2h dans la file avant de pouvoir atteindre l'intérieur du temple. Les garçons baissent vite les bras, préférant retourner dormir. Deux heures longues, très longues. Je m'appuie contre la barrière, encore endormie et écoeurée par l'odeur lourde de l'offrande sucrée que les fidèles emmènent jusqu’au temple, les yeux perdus dans le lac. La  lumière sous l'eau donne l'impression d’être précieuse, composée de millions de paillettes d'Or. Une vision magique qui nous change les idées. Dans la file, les hommes nous touchent, discrètement comme ça l'air de rien. Nous les dissuadons tant bien que mal en leur demandant d'une voie claire et forte "Sorry, Sir. What are you doing?" Ruth fait ça très bien! Honteux, ils s'écartent laissant la place à d'autres que nous questionnerons de la même façon. L'intérieur est somptueux bien sûr mais nous sommes contentes de retrouver nos lits. Ruth et moi décidons dans la matinée de partir faire du shopping… Encore! Il va vraiment falloir que j'arrête je ne vais jamais pouvoir tout ramener en France! 



De retour au temple, nous allons faire la cuisine. Nous y retrouvons Judith et Shreya qui finissent leur corvée d'épluchage de gousses d'ail. Alors qu'elles partent visiter le musée sick, nous prenons leur place et passons un moment à attendre la prochaine tache avec les indiennes. Une vieille femme nous fait  comprendre que dans ce lieu, dans un soucis d'égalité, Ruth n'a pas le droit d'avoir de vernis à ongles et que je n'ai pas le droit de porter mes lunettes. Nous sommes dans un lieu qui prône l'égalité et ce sont des signes distinctifs d'une certaine richesse. Elle ne nous reproche rien, elle nous explique seulement la philosophie de ce lieu. Comme rien ne se passe, la vieille femme nous conseille d'aller faire un tour du côté de l'atelier 'rôti' (pain indien). Accroupies sur un rondin de bois, les pieds dans la farine et armées d'un rouleau à pâtisserie nous confectionnons dans galettes. Un jeune sick et son ami Rudy nous proposent d'aller voir une 'bread machine'. Ruth n'est pas très enthousiaste à l'idée de suivre ces hommes après le souvenir désagréable de la file d'attente, puis après quelques instants d'hésitation nous les suivons dans une arrière cour du temple. Cette machine est impressionnante et produit avec un rendement sans commune mesure des dizaines de rôtis en quelques secondes. En regardant cette machine, de la farine collée par la transpiration entre mes orteils, je me dis que je préfère les faire à la main, ce que j'ai vécu avec ces femmes était tellement agréable.


Puis les deux hommes nous entrainent dans une autre cour, nous offrant alors une vue unique sur le temple. Enchantées, nous nous dirigeons vers la chambre pour retrouver nos camarades. Il est temps de s'inquieter de notre retour sur Delhi. Arrivés en catastrophe à la gare routière nous grimpons dans un bus sur le point de partir qui s'avère être le dernier de la journée pour New Delhi! 11h de nids de poules et de films boolywoodiens plus tard, à 3h30 du matin nous arrivons enfin à destination, épuisés mais ressourcés par ce week-end dans ce lieu unique.


11h de nids de poules et de films boolywoodiens plus tard, à 3h30 du matin nous arrivons enfin à destination, épuisés mais ressourcés par ce week-end dans ce lieu unique.

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