mardi 17 septembre 2013

Authentic.

Bon je suis quand même venue jusqu'ici pour travailler donc après plus d'un mois en Inde - Et oui déjà! - il serait temps que je vous en parle. Mon travail ici est d'accompagner les danseurs dans la création de leur pièce.

Je vais d'abord vous parler de Namrata et d'elle je ne vous en parlerai pas seulement d'un point de vue artistique puisqu'elle est beaucoup plus que ça. D'abord elle m'offre un toit, sa confiance et son amitié. Evidemment, il y a beaucoup de différences entre nous, surtout culturelles. Mais nous apprenons l'une de l'autre. Elle me parle de ses choix, de sa philosophie de vie, de sa religion et je l'écoute. Cette relation est si facile et agréable que j'apprend à être plus ouverte, plus à l'écoute. Rassurez-vous je ne suis pas devenue une hippie qui ne vit que pour Krishna. J'ai toujours des idées très tranchées mais je cherche à ce qu'elle partage avec moi et qui est si loin de ma vie face écho à ce que je suis. Lundi dernier elle m'a emmené voir un spectacle de danse traditionnelle, sur le chemin du retour elle me parle d'un ami musicien qu'elle a connu il y a dix ans. 

"Il m'a dit que le moyen de vivre sa vie pleinement est de faire des choix et des changements radicaux tous les trois ans. - un silence - Depuis, il s'est suicidé!"

Un fou rire est monté en nous provoqué par l'ironie de cette situation. Pour moi ça n'allait pas plus loin, pour elle c'était quelque chose de positif, puisqu'il a surement du accéder à autre chose maintenant.

"Je vis ma vie comme un rêve et je rêve avec la même intensité que si c'était la vie. Parce qu'après tout, qu'est ce qui nous prouve que ce qu'on pense être la vie est bien réel?"

Chers amis cartésiens, j'entend jusqu'à New Delhi vos poils se dresser d'effrois et d'agacement! De mon côté, que j'adhère ou non à ses propos n'est pas si important. J'essaie juste d'entendre autrement ce qu'elle me dit, de voir au-delà, de m'en servir pour ajuster un point de vue, de faire un peu d'anthropologie et si je ne trouve rien, je peux juste en apprécier la poésie.
Je ne vous parle pas de mon boulot là, vous me direz. Et bien je n'en suis pas si sure, nous verrons…


Namrata comme je vous les dis précédemment est partagée entre la tradition et la modernité, entre la danse et le chant, entre l'Europe et l'Inde. Partagée certes, mais plutôt inspirée et nourrie par toutes ces richesses que peuvent lui apporter ces deux cultures. Elle veut profiter de cette résidence pour avoir le temps d'expérimenter tout ça… avec moi. Elle cherche l'impulsion, l'endroit d'où né le son du corps, le son du mouvement et le mouvement de la voix. Pour elle, ce travail est une collaboration, pour moi aussi, un travail d'équipe auquel nous nous joignons toutes les deux, mais je suis frustrée. Pour le moment ma participation est minime. Je la soutiens dans ses choix artistiques et je lui offre mon regard et mes émotions. Même si pour le moment elle n'est pas très disponible, nous avons déjà fait quelques essais. Elle hurle, souffle et se gonfle, rit à la recherche d'émotions pures. Son corps se métamorphose, devient une masse informe ou un animal puis bascule dans un moment de féminité absolue. Ce n'est pas à proprement parlé de la danse enfin pas ce qu'on pourrait en attendre. La danse n'est qu'un assemblage de signes corporels pour faire naitre chez celui qui regarde une émotion. Si on garde cette idée en tête alors, oui c'est de la danse voire même de la danse des origines, dénuée de toutes barrières culturelles ou politiques. Lors de nos séances de travail en tête à tête, elle m'offre des trésors. De la danse à l'état brute. De la danse sans concept, sans réflexion, sans égo. Juste un moment parfait de danse.
Comme moi, elle est en quête de l'émotion, à la recherche d'une révélation, d'un souffle cristallin de sensations originelles, et comment la donner à vivre. En séance de travail elle m'offre sa vulnérabilité, sa force et face à son corps presque nu, je perd toute ma consistance, tous mes repères. Je n'ai qu'à regarder et vivre ce moment hors du temps. Bon, je vous l'accorde dit comme ça, ça peut faire un peu trip lesbien, mais c'est pas du tout l'idée ici! Nous verrons bien où cela nous mène.
En parallèle à ces recherches, elle m'a invité à venir la voir sur scènes pour ses dernières représentations de katak.

Récit de spectateur : Mardi 11 et Mercredi 12 Septembre 2013


Après une errance dans ce bâtiment où s'enchainent des couloirs infinis aux lumières tamisées à perte de vue, j'arrive enfin devant une salle de spectacle. Cette salle est énorme, au plus près de la scène, une poignée de fauteuils dorés en bois sculpté, juste derrière une rangée de grande table ronde, le couvert est mis et une grosse pancarte 'RÉSERVÉ' en guise de centre de table. Je suis assise dans la troisième partie comme la presque totalité du public. En face de toute cette organisation hiérarchique une petite scène qui parait bien ridicule. Avec Nilay, nous nous assayons à une table proche de la sortie, intimidés, on ne sait jamais! 


Le spectacle commence en retard, normal. Cinq types de danses traditionnelles s'enchainent et se croisent. Se montrant à tour de rôle avec une vitesse incompréhensible ne laissant pas le temps au spectateur de participer. Ici tout est mesuré, chronométré, y compris l'émotion. Toutes ces danses, que cet échantillon commercial commandé par le gouvernement nous donne à voir, sont régies par des codes, des langages chiffrés et définis que les danseurs doivent connaitre à la perfection et le public aussi pour pouvoir apprécier le spectacle dans sa totalité. Le rythme du spectacle, au son d'une musique pré-enregistrée, ne me laisse aucun répit. Je suis frustrée de ne rien comprendre mais encore plus de ne pas avoir la possibilité d'être transportée. Il me manque des clés et tout est fait ici pour que j'en sois bien consciente. J'ai l'impression de regarder un catalogue de la redoute à la section 'mode du monde entier". Oui, c'était joli, oui j'ai découvert des choses. Mais la beauté de la tradition disparait, il ne reste plus que le folklore dénué de sens et d'incarnation. Pourtant je sais que ce n'est pas tout à fait la réalité. Je connais Namrata et son amour pour la tradition ainsi que le respect qu'elle a pour son art. Ici même elle semble vide et désincarnée. Je suis aveuglée par l'artifice ne pouvant apprécier la beauté de ce qui m'est donné à voir.

Deuxième soir, deuxième salle. Ici, comme hier, on sent qu'il y a beaucoup d'argent, de politique et d'égos. Mais, malgré ça je m'y sens mieux. La salle est beaucoup plus intimiste. Il n'y a pas de fanfreluches, de déco rococo, les spectateurs sont assis sur un confortable tapis monumental. 


En première partie, du théâtre kathakali en hindi. Je ne comprend rien. Je peux apprécier la beauté des costumes ou de la musique mais encore une fois, une distance se crée. Autour de moi les gens rient, prennent peur et s'esclaffent, ils participent à la pièce. J'ai l'impression d'assister à une reconstitution historique. Je ne vois que du faux, du folklore. Les artistes s'enchainent, le temps commence à être long. Puis viens le tour de Namrata. 


Comme hier elle danse du kathak, cette fois-ci par contre elle est seule sur scène. Une consécration en somme. Enfin elle n'est pas tout à fait seule puisque cinq musiciens l'accompagnent. Les percussions jouent des rythmes qu'elle retranscrit ensuite en chanson puis en mouvement. Nous y sommes, c'est là qu'est né son désir, c'est de là que vient son impulsion pour sa performance qu'elle travaille pour la résidence. Evidemment je ne peux pas tout appréhender, les différences culturelles sont toujours là. Mais pour la première fois lors d'une représentation traditionnelle - et je commence à en avoir vu quelques unes - je suis transportée par l'interprétation de mon amie. Je retrouve la même force et la même beauté en elle qu'elle soit ici dans sa robe de princesse indienne sous une lumière flamboyante ou qu'elle soit dans le studio de Gati en short et brassière éclairée par la lumière blafarde des néons. Je suis touchée évidement parce que l'affectif  rentre en jeu mais pas seulement, il y a quelque chose d'une grâce suprême qui émane d'elle. D'un côté je ne la reconnais pas, physiquement, son langage corporel est très singulier et à des années lumière de ce qu'elle m'a donné à voir jusqu'à présent. Maquillée et coiffée ainsi, j'ai vraiment l'impression de regarder une autre personne. Et en même temps maintenant elle m'apparait dans sa globalité maintenant je comprend qui elle est. Elle ne finira pas sa présentation, trop émue, elle a décidé de mettre le Kathak entre parenthèse pour un moment j'espère pour elle que ça ne sera pas définitif. Durant sa performance, j'ai vu, j'ai oublié le folklore et l'exotisme et j'ai vu. C'était fort, c'était beau, parce que c'était vrai, incarné, habité.
Dans ce pays que je ne connais pas, dans cette culture que je ne pourrais jamais totalement appréhender, je crois que j'ai fini par connaitre quelqu'un, parce qu'elle m'a offert de connaitre toutes les facettes de sa personnalité. Tout ce qui fait d'elle ce qu'elle est.

En attendant la suite je vous offre un aperçu du travail acharné de toute l'équipe au Gati Dance Forum...


Nimit et sa performance entre mouvements et architecture.


Rakesh class and Kathakali class


Meeting with Maya.


Bon d'accord on ne fait pas que travailler!

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