jeudi 19 septembre 2013

Holocaste.

Il m'est offert de rencontrer ici un grand nombre de personnes, des jeunes de mon âge pour la plupart.

J'ai passé pas mal de temps avec Parvathi cette semaine. Elle m'a emmenée visiter son université, GNU. Elle ne m'a pas proposé de l'accompagner juste pour visiter mais parce qu'elle devait aller voter pour l'élection du président de la fac ainsi que pour celle de son bras droit et de son bras gauche.



Cette université est plutôt orienté très à gauche à tendance communiste. Devant les différents bureaux de vote des dizaines d'étudiants s'amassent pour pouvoir accéder aux urnes. Ils scandent des slogans et les différents partis s'affrontent à grand renfort de bruits en tout genre, c'est à celui qui criera le plus fort. L'ambiance est bon enfant. 



Les prospectus volent dans tous les sens. Les files d'attente  ne désemplissent pas. Parvathi est partie apporter sa contribution, pendant ce temps je reste à l'extérieur à contempler ce spectacle. 
Je la retrouve rapidement avec des amies à elle. Nous restons un moment à discuter au milieu de la foule. Elles parlent de leur choix, de leurs convictions et me questionnent. Je leur explique qu'en France, les jeunes ne se sentent pas investis d'un tel pouvoir, que des évènements de cette ampleur n'intéressent que très peu d'étudiants. Certains essaient mais échouent et passent inaperçus, loin de passionner la majorité de leur collègues. Elles sont surprises par mon récit. Elles n'en reviennent pas du manque d'intérêt que la jeunesse française a pour la vie politique en général enfin de ce que je peux leur en dire. L'image qu'elles ont de mon pays est la force et la vigueur populaire de Mai 68. Bien loin du néant qu'est la conscience politique de mes jeunes concitoyens - moi inclue surement.





Ce campus est énorme à l'image de ceux qu'on trouve aux USA. Au milieu d'un parc luxuriant, où les paons sont rois, s'élèvent des bâtiments de briques rouges. Le parc est tellement énorme qu'on n'a plus l'impression d'être dans Delhi, le boucan citadin semble avoir disparu même la pollution à l'air de s'estomper. Ici, tout à l'air neuf et vieux à la fois. Sur le chemin du retour vers Gati, en scooter - J'ADORE ÇA! - Parvathi est excédée. Ses épaules ne peuvent plus tenir face aux responsabilités qui l'écrasent : la famille hyper traditionnelle, le copain allemand, le travail, les études… Elle étouffe dans cette vie, elle suffoque dans ce pays. Je l'invite donc à tout laisser en plan pour quelques semaines, pour venir me rejoindre en France et prendre le temps de découvrir l'Europe, enfin au moins l'Europe de l'ouest. Je crois qu'elle va venir, que ce ne sont pas que des mots. Le temps de s'aérer, de prendre ses distances avec cette vie qui la ronge.

"Avant je n'avais pas d'argent. Evidemment c'était dur, mais j'étais heureuse. J'étais libre de penser et de parler. Aujourd'hui j'ai de l'argent mais je ne suis plus heureuse. Et la seule chose que je voudrais c'est voir ma mère et ça ce n'est pas possible puisqu'elle m'en veut. Elle m'en veut de refuser ce mariage forcé qu'elle veut m'imposer avec cet homme que je ne connais pas…"

Que répondre à ça? Mes quelques mots maladroits de réconfort semblent l'apaiser. Même si ce n'est que pour un instant, je lui ai au moins donné un moment de quiétude. Dans quelques semaines, après la fin de la résidence, elle va rentrer voir sa famille. Elle doit assister au (re)mariage de ses grands-parents. Il est de tradition dans la culture indienne que lorsque l'homme et la femme ont atteint tous les deux 80 ans et qu'ils sont toujours en vie, de se marier de nouveau. Symbolisant ainsi le fait qu'ils ont vu passer ensemble 1000 pleines lunes. Bon je ne suis pas sure d'en avoir compris toutes les dimensions, mais j'en apprécie la poésie. Elle ira donc participer à cet évènement et Peter a décidé de l'accompagner. Une belle surprise pour la belle famille qui ne connait pas son existence…



Samedi je l'ai accompagné à la fac pour un workshop autour du corps et de la méthode élaborée, il y a quelques décennies, par Jacques Lecoq, metteur en scène français. Cette fois-ci je ne fais pas que regarder, il m'aura fallu plus d'un mois pour accepter de faire quelque chose avec mon corps. Sur le sol de marbre blanc, les exercices s'enchainent. Ce n'était vraiment pas une bonne idée de mettre mon jeans aujourd'hui! La pensée devient signe, puis mouvement pour finir par construire tout un répertoire chorégraphique. Chacun propose un mouvement que les autres s'approprient, et petit à petit nous construisons un dialecte commun qui nous est propre. Je ne suis pas danseuse, et je ne pense pas que ce soit 'mon truc' mais d'expérimenter après avoir beaucoup observer m'apporte de nouvelles clés, de nouvelles sensations. Un théâtre du geste m'apparait comme une évidence. Au delà de la danse, au delà des mots, un nouveau langage s'offre à moi, un langage universelle ou presque mêlant le corps et les sens, l'imaginaire, les souvenirs et l'émotion.
Après ces exercices, nous essayons quelque chose de différent. Les yeux fermés ma main gauche sur l'épaule de ma partenaire je cours dans cette espace circulaire. Je ne pense à rien, mes jambes me portent, elle accélère. Je ne ressens ni crainte, ni appréhension. L'espace ne m'apparait que par les faibles variations de lumière et par le souffle des ventilateurs. mon corps essoufflé cours sans relâche alors que mon esprit se libère.


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Le soir même, je passe la soirée avec Sameesh et Nilay à jouer aux cartes chez Jay. Jay, l'indien qui a tout d'un américain y compris l'accent ça change! Ils parlent en hindi, se racontent des blagues. Ça ne me gène pas de ne pas comprendre, je passe un bon moment. Je profite simplement d'être avec des amis, même si je suis de fait à l'écart, je baigne dans cette ambiance festive, je n'ai pas besoin de plus pour passer une bonne soirée. Je suis mal à l'aise et pas seulement parce que je suis la seule fille au milieu d'une discussion entre mecs buvant du whisky à l'eau. La famille de Jay est riche et probablement plus que ce que je peux imaginer. Je suis gênée d'être servie. Au petit matin, après une nuit très courte, des employés de maison nous apportent le petit déjeuner. Un des hommes me tend une tasse de thé puis le sucre, puis il reste là, penchée vers moi attendant patiemment que j'ai fini. Cette situation est très inconfortable. Autour de moi, mes amis sont tout à fait détendus. Les employés sont considérés plutôt avec respect, un peu comme la bonne chez le Colonel. Ils sont plutôt bien traités mais je n'arrive pas à trouver cette situation tolérable. Je ne sais pas trop où je voulais en venir et je sens bien que je ne suis pas claire mais ce moment autour de ma tasse m'a trop marqué pour que j'oublie d'en faire part.



BREF

Avec Jay et les autres, nous retrouvons Sabina, sa nouvelle coloc' Johanna et Ankit pour une petite visite du quartier tibétain au nord de Delhi.



À table, en dégustant des nouilles délicieuses, Jay me parle de son passé, de sa famille. Il m'apprend qu'il est Sick. Je suis étonnée, d'habitude les Sicks ne se cachent pas, arborant un turban plus qu'identifiable, je croyais même que c'était une obligation. Mais contrairement à d'autres, il ne le porte pas et il a choisi à la place une coupe courte. Il a fait ce choix avant de partir vivre aux USA.
Il m'explique que là-bas, la peur du terrorisme est trop forte et qu'un homme barbu avec un turban est synonyme de fidèle d'Al Qaida. Et si vous doutez de cette réalité, je vous invite à regarder ce qu'il s'est passé suite à l'élection de Miss America il y a quelques jours. Toute cette déferlante de haine sur les réseaux sociaux illustre bien cet crainte dont mon ami me fait part. Evitons cependant de faire des généralités. Il me dit que comme son père avant lui, il est un rebelle, que ça n'a pas été facile pour lui surtout avec sa famille mais que c'est une question de rôles. Si tu te positionnes comme allant à l'encontre de la tradition et que tu l'assumes, les gens finissent par l'accepter et par te respecter. Je ne comprends décidément pas très bien les subtilités de cette culture.
Assis à côté de lui, Ankit à l'inverse se définit comme étant dans le respect des règles. Issu d'une famille ultra conservatrice et fils unique il n'a pas vraiment le choix. À 27 ans, il va être temps pour lui de se marier. Il m'explique alors qu'il peut choisir sa femme mais rentre alors en jeu le système toujours aussi présent des CASTES. Je pensais que cet archaïsme n'était plus d'actualité, au moins dans les grandes villes, je me trompais. Bien sûr dans les campagnes rien n'a changé et dans les villes ce système reste celui qui prime. De plus en plus de gens ont la liberté de faire un mariage d'amour mais ça reste tout de même une exception. Tout dépend de la famille dans laquelle vous êtes. Il peut donc choisir, enfin presque, cette personne avec qui il va partager le reste de sa vie. Elle doit cependant appartenir à la même caste, assez élevée si j'ai bien compris, et à la même sous-caste. Cette femme ne peut pas être d'une caste inférieure, même si elle gagne plus que lui. Je suis bouche bée. Je ne sais vraiment pas quoi dire et je ne sais pas ce qui me choque le plus : ce système autoritaire ou le fait que quelqu'un d'aussi jeune et éduqué puisse renoncer à ses libertés. Il connait l'Europe et a d'ailleurs fait un échange à la fac de Strasbourg (… le monde est petit, je sais c'est nul mais j'étais obligée de le dire!). Je lui demande pourquoi, en essayant d'être la plus polie possible, il n'est pas reparti dans un pays qui lui offrait plus de liberté. Il me dit d'abord que en Inde ce qui prime c'est la famille, et que comme la sienne est ici il ne peut se résoudre à partir. Il me dit ensuite qu'il aime son pays et qu'il ne pourrait pas vivre ailleurs. Il m'avoue quand même que durant son séjour à l'étranger, il n'avait plus envie de rentrer mais que peu importe la vie qu'il avait en France ce n'était pas la réalité et qu'à un moment il a bien été obligé de redescendre sur terre. Il me fait remarquer que c'est un peu la même chose pour moi, je suis ici sans responsabilités, sans contraintes, juste pour le fun mais ce n'est pas ma vie. Et dans un mois maintenant je devrais reprendre les choses où je les ai laissées.



Les photos qui suivent n'ont pas forécment à voir avec le récit, juste des souvenirs du Tibetan Market






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